#41

Si dimanche dernier je fus oisif, ce ne fut pas sans lire, of course. Et en l’occurrence, je me fis un dimanche oxonien.

En effet, j’ai terminé de lire Le Roman d’Oxford de Javier Marias, et j’ai largement entamé The Surgeon of Crowthorne de Simon Winchester (dont j’ai depuis terminé la lecture, cette nuit pour être précis).

Le Roman d’Oxford appartient à un sous-genre de la littérature qui m’est particulièrement cher: le « roman académique ». C’est-à-dire, ces romans qui se déroulent entièrement dans l’enceinte d’une université — que l’auteur s’y intéresse à la vie des étudiants ou, le plus souvent, à celle des professeurs & chercheurs. David Lodge est le grand maître de ce réjouissant sous-genre, et c’est d’ailleurs chez l’éditeur français de Lodge, Rivages (collec « Bibliothèque étrangère ») que je suis tombé sur un écrivain espagnol donnant aussi dans ce style: Javier Marias. Le Roman d’Oxford raconte l’histoire d’un homme venu enseigner la littérature espagnole dans un collège d’Oxford — il ne nous dit jamais lequel (car il faut savoir qu’Oxford n’est pas du tout une seule université, mais bien une petite ville entièrement occupée par de très nombreux établissements différents), mais le titre original (Todas las almas) tend à désigner le collège d’All Souls. N’étant pas Anglais, le narrateur (qui rédige son récit plusieurs années après être revenu à la « vie normale » — il considère son séjour oxonien comme une « perturbation ») est particulièrement à même de désigner & décrire les bizarreries des moeurs britanniques en général, et universitaires en particulier. D’emblée, les premières pages nous plongent dans le bain: la description minutieuse & hallucinée d’un banquet est un très grand moment d’humour pince-sans-rire! Comme l’est, juste avant, la présentation du portier du collège — un vieil homme tranquille mais perturbé, auquel ses béances mémorielles font confondre toutes les décennies de son existence: tel jour il se croit en 1926, tel autre en 1954, il désigne les professeurs des noms de leurs prédécesseurs de ces différentes époques, le tout avec amabilité et dignité.

Le narrateur décrit toute cette étrange existence (entre rigueur académique, flétrissement distingué et adultère échevelé) d’une plume à la fois introspective et malicieuse, dans des phrases incroyablement longues et emplies de termes rares. Ce style est un véritable délice! Digressant, pontifiant, se moquant sans en avoir l’air, s’attendrissant avec flegme (les critiques ont raison de désigner Marias comme « le plus anglais des auteurs espagnols »!), les phrases interminables de Javier Marias sont parfaites pour le genre de prétendu journal/souvenir de ce roman (quoique ce semble être le style habituel de Marias: j’ai été feuilleter l’autre roman de lui que j’ai acheté, L’Homme sentimental, qui semble être du même tonneau). Et l’on peut être rassuré quant à la fidélité de la traduction, puisque l’auteur lui-même l’a contrôlée.

The Surgeon of Crowthorne, par Simon Winchester, est d’un autre style: il s’agit d’une biographie duale et d’un essai historique, le tout romancé. Également titré, dans d’autres éditions, The Professor and the Madman (je crois que c’est d’ailleurs le titre choisit pour la traduction française), ce livre est en tout cas sous-titré a tale of murder, madness and the Oxford English Dictionary. Éh oui: il s’agit de l’histoire de la création du plus fameux des dictionnaires anglais. Et quelle histoire! Car l’on suit non seulement le travail de l’érudit écossais, le Dr James Murray, principal coordinateur de ce travail titanesque (le dictionnaire fut in the making durant soixante-dix ans), mais aussi l’existence perturbée d’un chirurgien américain, ancien militaire durant la Guerre de Sécession, le Dr William Chester Minor. En effet, Minor était l’un des bénévoles les plus passionnés par la constitution du corpus de référence du dictionnaire (la recherche des citations illustratives de chaque mot). Et lorsque le Dr Murray se décida à enfin lui rendre visite, il eut la « surprise » (!) de découvrir que le Dr Minor était en fait le plus vieux pensionnaire de Broadmoor, un asile d’aliéné…

Simon Winchester effectue un passionnant travail de « détective linguistique » (comme le dit l’un des blurbs): il mêle de manière serrée l’histoire de l’émergence du concept de dictionnaire (un objet qui nous semble aujourd’hui banal, évident, mais dont la conception ne se fit pas en un jour), l’ambiance & les passions de l’époque victorienne, le meurtre que commit le Dr Minor dans sa folie paranoïaque, et le destin mêlé des deux érudits. Le tout ne manque pas d’un humour lui-même très érudit, et se dévore comme un roman policier.

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