#66

Dans l’univers mis en scène par Charles de Lint, les rêves occupent une place de choix. Car the Otherworld est une sorte de dimension parallèle à la nôtre, d’où non seulement proviennent certaines créatures mythiques, et où peuvent se rendre (physiquement) les êtres doués de magie — mais où également, la plupart des humains se rendent (oniriquement) lorsqu’ils dorment. C’est le domaine des songes, construit & habité autant par ce que rêvent les hommes que par les créatures féeriques (cf. en français la nouvelle « Le Paradis des Livres de monsieur Truepenny » — in Les sentiers de la Faërie, alias Yellow Submarine n°129).

C’est un thème qui me séduit tout particulièrement. Parce que je me souviens très souvent & très clairement de mes rêves. Parce qu’il m’est arrivé d’en utiliser la matière pour des nouvelles. Bref: parce que la vie onirique ne m’est pas étrangère, qu’elle me parle, me concerne.

Cet « autre monde » des rêves, j’essaye de l’approcher dans certaines de mes nouvelles — celles que je décris comme relevant d’un « fantastique soft », faute de meilleure définition. Je le nomme l’Autre Côté. Ainsi, dans « Un ange sur le banc » (in Étoiles Vives n°6). Et dans de nombreuses autres nouvelles — je ne cesse d’en écrire, dans ce cycle-là: cf. bientôt « Les fantômes du canal » (in l’antho sur les Templiers qui doit sortir chez Rafaël de Surtis), ou « Volage » (à paraître in la revue québécoise Solaris). Des nouvelles où l’Autre Côté n’est qu’entrevu, un but, une quête — chaque texte est un fragment d’une même approche. Mais viendra le moment où il me faudra mettre directement en scène cet Autre Côté, bien sûr. J’ai aussi entamé un roman sur ce thème… Et en attendant, j’entasse ces nouvelles, j’en commence tout le temps d’autres, les termine lentement, dans le désordre — en songeant vaguement qu’un jour, sans doute, j’en aurai assez pour constituer un vrai recueil. Peut-être ne devrais-je pas tant m’éparpiller, pas tant faire trente six choses à la fois: j’ai souvent l’impression de n’avancer sur rien… Mais impossible de faire autrement: si je débute des tas de nouvelles, c’est pour ne pas en perdre le fil, ne pas oublier ce dont j’avais eu l’idée. Je connais la médiocrité de ma mémoire! L’autre jour, comme ça, j’ai eu la surprise de découvrir dans mon ordi tout un long début de nouvelle — que j’avais tout à fait oublié d’avoir écrit. Ce n’est qu’après pas mal de cogitation que je me suis souvenu: j’avais rêvé quasiment la nouvelle complète, et m’étais levé un peu plus tôt que d’habitude, le matin venu, afin de vite commencer à l’écrire. Puis j’étais parti au boulot, & l’avais oublié… Je pense avoir à peu près retrouvé le cheminement de cette nouvelle, et suis en train de la continuer.

D’ordinaire, je rêve de villes. Je veux dire: pas tout le temps, mais très fréquemment. Peu importe le « scénario » de ces rêves — j’y suis dans une ville, et celle-ci a un rôle central dans la vie de mes songes. Nombreuses sont « mes » villes, et quoique je ne sache pas « diriger » mes rêves, j’ai la chance (?) qu’ils soient parfois récurrents, ou du moins qu’ils se recoupent quelque peu — je suis déjà revenu à plusieurs reprises dans (plus ou moins) la même ville rêvée…

Il y a cette petite ville étagée sur une haute colline très abrupte, où les pavillons années trente s’étagent les uns au-dessus des autres, on peut presque descendre la ville en courant sur les murs des jardins, un vrai labyrinthe… Et tout là-haut, sur la place au sommet, vaste, le ciel est grand, bleu. Parfois un cirque s’installe sur la place, ou bien un marché. Une fois, je m’en souviens, j’ai descendu quelques marches au flanc de la place, les immeubles bas forment comme une couronne autour de cet espace culminant, et au bas de l’un d’eux est une boutique d’aquariums et de poissons exotiques.

Il y a également ce Bordeaux-Londres immense où j’ai tant d’appartements, & des bouquinistes favoris; il y a ce Pontoise-Angers aux monuments encombrants et à la fête foraine abandonnée; il y a ce Limoges le long d’un fleuve sombre; il y a ce Lyon-Montpellier à la Saône coincée entre deux coteaux de roche claire, aux passerelles jetées au-dessus de l’eau, & au château de Fourvière dominant un quartier médiéval partiellement ruiné; il y a ce Toulouse-Los Angeles au bord d’un océan aux eaux si froides et au sable si chaud… Et puis tous les autres, cet Angoulème au centre commercial abandonné; ce La Rochelle partiellement inondé; ce Toulon de pierre ocre caché dans une étroite vallée, sa gare comme écrasée au milieu des falaises formées par les grands immeubles; cette banlieue de nuit à laquelle je n’accède que par des jardins escarpés et en logeant les terrasses et façades de maisons endormies; ce village de montagne sous des collines de lavande; cette gare à la fois sombre et vaste d’où parfois je pars…

Ces rêves de villes sont ceux que je préfère: j’en sors bien souvent en pleine forme, content de vivre… Ce ne sont pas des cauchemars, mais des rêves heureux, des aventures passionnantes.

J’aime les villes, il est donc bien normal que je les rêve, n’est-ce pas docteur?

En y réfléchissant un peu, je me rend compte que « mes » villes sont souvent très escarpées… Tout comme, bien entendu, la cité de Spica que j’ai mis en scène dans mon premier roman (Des ombres sous la pluie) et que je continue à explorer dans les suivants (en chantier!). Pas étonnant que j’ai tant aimé San Francisco: tout y est ou presque, les collines, les architectures diverses, peu de bâtiments hauts et donc un grand ciel libre au-dessus de la ville, et puis la Baie, la respiration de l’océan…

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