#486

Tableaux Tuileries (2)

Chaque fois que je vais à Londres je ressens l’impression de plonger dans la littérature, mais à Paris c’est de peinture qu’il s’agit. Paris est la ville impressionniste par excellence! Il suffit d’admirer cette ancienne gare de La Muette, par exemple, avec les arbres en symphonie d’or & les avenues qui se perdent dans la brume matinale, les grilles sombres du chemin de fer & le zinc brillant des toitures. Monet, Manet, Goeneutte ou Caillebotte: impressionniste vous dis-je!

On ne saurait mieux débuter un séjour parisien: ici les avenues se nomment Raphaël, Ingres ou Mozart. Ici l’automne sème des sequins sur les pelouses d’un vert dru, sous la chevelure rousse des arbres du Ranelagh, en attente tels des vieilles dames. Ici claque au vent un drapeau aux armes de Claude Monet, comme un fanion japonais pour annoncer le musée Marmottan.

Ah, Monet! Presque une obsession, chez nous. En tout cas, toujours une fascination. Mais qu’en dire? Comment décrire cette impression de submersion, le va-et-vient du grand au petit, le papillon exalté qui volette dans ma poitrine, la plongée dans la matière, toutes ces fibres, toute cette lumière… & ce tronc d’arbre, qui pulse de couleurs comme éclairé de l’intérieur, presque effrayant, Monet a vu sous l’aspect du végétal & tout comme Jacques Lacarrière il est passé dans le « pays sous l’écorce ».

#485

Tableaux Tuileries (1)

La raison: une conférence à donner à paris, le jeudi 6 novembre. je pensais y aller seul, forcément, me voyais déambulant dans les expos & m’installer dans des bistros pour écrire un peu de Bodichiev. Sans voir grand monde: dix-sept ans que je suis sociable par profession, ouf, j’en ai un peu assez, ressent le besoin de respirer & de prendre le temps, enfin. Agoraphobie, claustrophobie, tout ça-phobie. Et puis Olivier s’est libéré, il avait envie de venir avec moi: hé hé, chic alors! Pas la peine de m’étendre sur mes relations avec lui: juste dire que sa présence m’est toujours une évidence. Complicité est le maître mot. Alors va pour Paris: flânerie à deux, pas d’écriture mais beaucoup de marche & pas pour autant besoin de voir du monde.

Ah, c’est toujours un peu le dilemme lorsque l’on va à Paris: tant de copains, de copines, tant de monde qu’il me serait possible de voir. Tiens, Jean-Paul par exemple, pas vu depuis une éternité. Ou Jean, auquel nous téléphonerons peut-être. Deux rendez-vous quand même: avec Seb (finalement déprogrammé, j’avais mal calculé notre emploi du temps) & avec Fab (déprogrammé itou, on s’était pas compris). Pas de gens, alors: des lieux, des tableaux, Paris la grande. Des rues & des oeuvres d’art, en cinq jours d’une intense nonchalance. Eh, c’est cela le vrai luxe d’aujourd’hui — ralentir son horloge interne, faire un pas de côté afin d’éviter la quotidienneté affairée.

#484

« Intertextualité — ensemble des relations existant entre un texte (notamment littéraire) et un ou plusieurs autres avec lesquels le lecteur établit des rapprochements »

Cinq jours à Paris, d’une flânerie que j’oserai qualifier d’intense, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Qui disait que prendre des vacances c’était changer de fatigue? Anyway: plein les yeux mais plein les pattes, retour à la maison hier. Où la journée fut celle du repos complet — & de la lecture, boulimique, passionnée, d’une traite, d’un pourtant énorme pavé: L’Ère du Dragon par Xavier Mauméjean (chez Mnémos).

Rarement le terme « intertextualité » se sera-t-il aussi bien appliqué à une oeuvre de science-fiction. Ou de fantasy, peu importe les chipotages définitionnels des ayatollahs de la littérature de genre: ce qui importe, c’est la littérature, bien entendu. Et le plaisir de lire — une notion subjective mais profonde qui trouve notamment son origine dans une autre forme de plaisir, celle antérieure au lecteur, de l’écrivain: l’envie de raconter une histoire. De partager une érudition. De s’amuser avec les archétypes. De serrer les fils d’une dense tapisserie.

Et il ne s’agit pas là de quatre méthodes, ou de quatre plaisirs, différents, mais bien d’une seule démarche d’auteur, que Mauméjean conduit avec une évidente jubilation.

Fantasmes d’Albion & littérature populaire se fondent en un colossal roman — où selon la culture de chacun l’on reconnaitra ici Sherlock Holmes, là Tarzan, ou encore un détail de l’histoire de Londres, une enquête d’Hercule Poirot (basculée cul par-dessus tête au détour d’une seule phrase), des pages de l’art russe (Bakst, Diaghilev, mais aussi Malevitch, Prokofiev, Maïakovski et le constructivisme), l’île du docteur Moreau & la Machine à explorer le temps, King Kong & Peter Pan, le Baron rouge & Bob Morane, Fu Manchu & Doc Savage… Un brassage qui fait sens, qui se paye même le culot de bâtir plusieurs niveaux d’intrigues, des mondes qui s’emboîtent & se répondent avec des jeux de miroir internes aussi complexes qu’à l’extérieur résonnent leur intertextualité & leur nature trans-générique.

#483

Émilie Simon, concert à Lyon

Après le p’tit tour & puis s’en vont de deux pas doués genre sous-France Inter, ouf, quel ennui, voici de nouveau la scène vide. Dans les enceintes, une disco monte, typique de ces vieilles scies redevenues « branchées » en ce début de XXIe siècle… Vous avez dit « branché »? Un roadie apporte une chaise: verte, la chaise, une beauté design triangulaire d’un vert pomme aiguë. Et qu’est-ce donc que cette forme en plastique, sur le devant? Comme l’entassement de trois tabourets Knoll qui surmonte un mini-dôme transparent. Le tout bourré de bidules électroniques: la version seventies du savant fou?!

En parlant de savant fou, voici qu’arrive l’électronicien du groupe, petite barbiche & t-shirt genre Emmental (plus de trous que de tissu). Suivi par l’élégance du guitariste & du contrebassiste, tous deux vêtus en costumes velours marron & grands cols de chemise, ah, il n’y a pas: ça va être de la musique design! La claviériste au look Everything But the Girl se glisse derrière ses instruments, tandis qu’enfin voici la belle: Émilie Simon. En Tara King version légèrement borg: jupette N&B mais sur le bras gauche quelques instruments futuristes, gros boutons & leviers graciles.

Les notes naissent: sifflements diffus, bruits électroniques, puis éclatent des noisettes électriques, rondes & craquantes, avant que notre douce Tara King n’élève sa voix de petite fille. Bientôt je suis immergé dans ces couches & ces couches de sons subtils, morceaux trop brefs (flûte le format chanson!) mais si doux, si étranges, si nets aussi. Acoustique & électro se conjuguent sans heurt, quant à l’étonnant totem, c’est encore une machine à sifflements: Émilie y domestique les larsens, tandis que ses prothèses borgs lui servent à jouer de l’effet sur sa voix. Magique & technologique! L’élégance parfaite. Et tant & tant de rappels, jusqu’à une divine reprise de Kate Bush. Comblé, conquis, je fus: son grain de voix fit mon bonheur.