#406

A Reminiscent Drive (2)

Longtemps l’art n’a appartenu pour moi qu’au domaine de l’approche velléitaire: je savais — confusément, sans que jamais j’y songe — que m’intéressait la peinture, en particulier, mais je ne faisais pas de démarche vers elle, rien de systématique, juste quelques vagues envies & de rares expositions, au hasard. Et pourtant, depuis tout jeune je voulais venir à la peinture. Pas en tant que pratiquant, je n’en ai hélas pas les aptitudes. Mais en tant que spectateur ému.

Ado, cette tension vers l’art m’avait conduit à adorer les icônes de mon époque : Mathieu, Vasarelly, Yvaral, et j’oublie pour le moment le nom de ce peintre hyper-réaliste qui fut à la mode à la toute fin des seventies, qui peignait en fresque des portions de paysages & de corps humains…

Il s’agissait de mes années collège, la ville nouvelle de Cergy, les excursions en Italie, tous mes premiers chocs esthétiques en vrac : le op’art, Pierre Henry (ne riez pas), Gébé, Jeury, le prog rock, le corps d’Éric, la musique d’Ennio Morricone, de Vangelis & de Tangerine Dream. Et puis les Avengers, les ruines de Pompéi, la baie de Naples, les rives de l’Arno, les terrasses de Rome, le forum des Halles & les tubes de Beaubourg…

Années lycée, nouvelle tentative d’approche de la peinture, mais par le biais de ma passion pour la science-fiction : ce seront des recueils de Caza, de Chris Foss ou de Siudmak… Idoles aussi vites évacuées qu’elles avaient été vite adulées : je ne trouvais pas véritablement mon compte dans le « space art » et l’illustration SF…

Années bordelaises, je découvre l’art enfin, pour de bon. Une grande expo Turner, une petite expo Mondrian & puis Klee, le Bauhaus & chez Art-Curial, Sonia Delaunay.

Pourquoi n’ai-je pas continué dans cette voie, pourquoi n’ai-je pas poursuivi cette timide découverte de l’art ? Ah, mais je suppose que la vie est trop courte (rengaine) & je me plongeais alors tellement dans la SF, puis dans la fantasy — & plus généralement dans la littérature. L’envie de découvrir le cinéma, aussi. L’impossibilité de pouvoir tout faire, tout lire, tout voir, tout dévorer. La vie nous croquerait-elle plus souvent que nous ne la croquons ? Difficile à dire — entre le temps volé par les tragi-comédies du travail quotidien, les petites baisses de régime, les affaires de cœur qui bouleversent sans jamais (me) combler, les passions forcément excessives qui emplissent les heures d’éveil (Londres, Yellow Submarine, la SF…).

Enfin : l’art, la peinture. Devenus nécessités irrévocables, incontournables. Grand temps !

Ce matin, levé tôt afin d’avoir le temps de me rendre en ville tout en ne « gâchant » pas toute ma journée, c’est-à-dire en me laissant le temps d’écrire cette après-midi. Direction le Musée des Beaux-Arts de Lyon. Il fallait bien que je me rende compte si ce musée-là, la collection permanente, recelait des oeuvres pouvant m’intéresser/m’émouvoir.

À l’étage des « objets d’art », un peu d’Art Déco, pas mal d’Art Nouveau (un salon par Guimard, une commode extrêmement végétale par Gallé, des vitrines pleines de verres — Lalique, Gallé, Maurice Marinot, etc). Et une superbe collection de céramiques du Japon, de la Chine & de la Corée : la collection du peintre Raphaël Collin (1850-1916), un artiste académique lyonnais qui joua les intermédiaires entre art français & art nippon, notamment en invitant des peintres japonais à venir se former à la peinture occidentale. La simplicité, la grâce rustique de ces quelques bols ou tasses est sidérante. Et à constater leur totale modernité, je mesure l’influence du Japon sur l’art & le design européen depuis le XIXe siècle. Il faudrait que la RMF produise des reproduction de ses objets ! Ils mériteraient d’exister, d’être en usage, de nouveau aujourd’hui…

Je passe vite à travers les grandes salles d’art ancien — n’admirant de fait que le contenant & guère le contenu. De superbes salles, verrières Art Déco, bancs du dernier cri, tout ceci est suprêmement élégant. Enfin ce que j’apprécie, le XIXe/début XXe. Notamment les formidables « portraits » (caricatures sculptées) de Daumier. Un coup de cœur : « La maison dans les rochers » de Théodore Carnelle d’Aligny (vers 1830).

Un tour dans la salle des Impressionnistes, mais l’art ce matin se méritera à force de patience : mieux vaut attendre le reflux des chiards babillards & des ados couinant afin de goûter en paix la beauté picturale. En attendant, je remonte le musée jusqu’aux lointaines salles du XXe siècle. Albert Marquet ! Quelle gifle : deux Marquet à l’entrée !

Puis Dufy, Sonia Delaunay, Gleizes, Braque, « Le fer et les dormeurs » de Max Ernst, de beaux abstraits par De Staël, Vieira Da Silva, Bazaine, Manessier. Tout au fond, je ne sais rien de Wilfredo Lam mais admire. Coup de cœur : « Bouquet de fleurs sur une cheminée aux Clayes » de Vuillard — un bouquet admirablement inachevé & lumineux.

Retour aux Impressionnistes, le plaisir familier mais toujours renouvelé. La marmaille a évacué, le silence contemplatif me guide de toile en toile. Plénitude : « Rouen, neige fondante » d’Armand Guillaumin (vers 1900). Éblouissement : « Charing Cross Bridge, la Tamise » de Monet (1903). Surprise : « Les Baigneurs » de Cézanne — si petit ?! Mais si beau… *soupir*

« Après une longue exploration de la littérature et de la philosophie chinoises, j’arrive à la conclusion que leur plus haut idéal a toujours été un homme détaché de la vie et sagement désenchanté. Cette sagesse engendre une certaine hauteur de caractère qui donne la possibilité à chacun d’avancer dans l’existence avec une ironie tolérante, d’échapper aux tentations de la gloire, de la richesse, des exploits, et finalement, d’accepter les événements. De ce détachement découlent aussi le sens de la liberté, l’amour du vagabondage, de l’orgueil, de la nonchalance. Car seul le sens de la liberté et de l’oisiveté permet d’atteindre la joie de vivre intensément. »

Lin Yu Tang (« L’Importance de vivre », trouvé par Douze Lunes in « Petit traité de désinvolture » de Denis Grozdanovitch).

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