#425

Nyons — noté le jeudi 29

« Librairie E. Pinet »: en ce jeudi matin notre stand se pose face à cette incroyable boutique, improbable fragment d’un passé qui, par un miracle que je ne m’explique pas bien, a survécu intact jusqu’à nos jours. La librairie Pinet présente même un superbe assortiment de plumes sergent-major dans sa vitrine étroite. À l’intérieur, se devinent des étagères qui montent jusqu’au plafond, emplies de crayons, de ramettes de papier, de cahiers, de pochettes Cansson, et bien entendus de livres, des piles de livres.

Des pinceaux « Winsor & Newton » apportent à ce capharnaüm infiniment désuet leur touche british. Hors du temps.

Tenaillé par la curiosité, il me faut entrer. Oh, cette odeur d’encre! Lourde, prégnante… Je l’imagine de ce bleu-noir qui stagnait au fond des encriers de mon enfance — lorsque dans une école primaire si réactionnaire qu’elle n’avait jamais accepté le passage à trépas de la IIIe République, nous sabotions le travail à la plume en trempant des bâtons de craie.

Odeur d’encre & impression d’avoir basculé dans le sépia. Le comptoir en bois est un meuble à la beauté simple que s’arracheraient les antiquaires, plein de larges tiroirs. Son dessus usé croule sous les articles de papeterie, les stylos & les pinceaux. Des masques blancs grimacent au-dessus de la petite porte, là derrière, sans doute une réserve? Quant aux livres, ils s’étagent en piles horizontales, en tas indécis dont l’ordre n’est certainement apparent qu’aux yeux des propriétaires. « Magie de l’Égypte des Pharaons », « La beauté des plantes », est-ce moi ou même leur stock fleure-t-il bon le léger parfum de l’obsolescence? Évidemment, je me fais influencer par le contexte — comment pourrait-il en aller autrement lorsque les lieux s’imposent comme un cliché de Doisneau? Les étagères sont d’un vert tilleul, le bord des meubles râpé, le sol en carreaux de grès, la devanture d’un bois sombre présentant tous les signes de l’usure, sous une enseigne presque effacée, les volets sont fanés & les vitres poussiéreuses.

Devant cet endroit d’exception, un vieil homme faussement atrabilaire rêvasse au sein des piles de ses bouquins. Les rides creusent des bajoues souriantes de chaque côté de sa bouche, il a des yeux saisissant de bleu, le nez fort mais la bouche molle d’un vieillard. Une tignasse d’un blanc parfait, coupée au bol, surmonte son visage rugueux. Pierre Magnan. Adorable artisan du polar provençal: le commissaire Laviolette n’aurait rien de déplacé sous les arcades basses, en fait il a certainement déjà foulé les grandes dalles grises de ces lieux. Magnan & Laviolette sont dans leur jus. Le vieil homme trucule sur la lourdeur de Yourcenar & l’application de René Char.

(à suivre)

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