#440

Avec cette coupure de connexion, d’ailleurs toujours pas réglée (j’utilise une connexion téléphonique en lieu & place de l’adsl), je n’ai évidemment pas tenu à jour sur ces pages la liste de mes lectures…

Pourtant, je me suis rué (comme tout un chacun?) sur le cinquième Harry Potter de miss Rowling. Et en suis ressortit avec le même contentement qu’avant, car certains snobs auront beau dire (n’est-ce pas madame Byatt?), c’est là de l’excellente littérature pour la jeunesse, rédigée avec une astuce inaltérable & un sens du rythme qui, en dépit d’un nombre de pages encore croissant, m’a semblé nettement mieux « tendu » que sur le volume 4. C’est frais, léger, pas bête pour un sous — j’apprécie en particulier l’image qu’elle donne des gouvernants, ô combien d’actualité après les mensonges grossiers de l’administration Bush & le « suicide » d’un scientifique anglais…

Lu également « Amaryllis Night and Day » de Russell Hoban -un auteur qui me fascine depuis longtemps. Et qui ici a délivré un roman presque parfait, à mon regard: en fait, je rêverai d’avoir écrit une telle oeuvre…

En 38 chapitres généralement très courts, la rencontre de Peter Diggs, peintre américain vivant à Londres, et d’Amaryllis, jeune femme un peu… étrange.

La première fois que Peter rencontre Amaryllis, c’est dans un rêve. Tous deux attendent à un arrêt de bus, dans une rue sombre au décor vaguement expressionniste, peut-être peint sur toile. Nous sommes un soir d’été, juste avant que la lumière ne disparaisse, à ce moment particulier durant lequel au bleu sombre du ciel répond le jaune brillant des lampadaires déjà allumés. Sur l’arrêt un panneau annonce BALSAMIC — quoique les lieux n’aient rien de particulièrement vinaigrés, ajoute l’auteur. Lorsque le bus arrive, il ne s’agit pas d’un véhicule ordinaire: ses parois sont des feuilles de papier de riz jaune, rouge, orange, collées ensemble sur des montant en bambou. Le bus est une silhouette haute, gracile, apparemment fragile, pleine de bougies qui l’éclairent de l’intérieur telle une grande lanterne japonaise. Pas de numéro, juste une destination: FINSEY-OBAY.

La jeune femme commence à monter dans le bus et fait un « oui » silencieux en direction de Peter, l’enjoignant de monter lui aussi. Effrayé il ne sait trop pourquoi, le jeune homme a un mouvement de recul – et se réveille.

Mais ce ne sera pas leur unique rencontre, car contre toute attente Peter va rencontrer la jeune femme dans la vie réelle, quelques jours plus tard. Entré au Science Museum afin d’aller admirer l’exposition de « bouteilles de Klein » (des formes mathématiquement presque impossible, équivalent tri-dimensionnel du ruban de Moebius — qu’un souffleur de verre nommé Alan Bennett est parvenu à créer en vrai), Peter y rencontre la jeune femme: Amaryllis, qui « savait » pouvoir el trouver là. Car elle l’a choisit: le croisant un jour par hasard sur un quai du métro, elle a sentit que cet homme saurait la comprendre, saurait communiquer avec elle jusque dans ses rêves. Car tel est le pouvoir d’Amaryllis: attirer les autres dans ses songes.

Et grand est son besoin de Peter: chaque soir elle ne rêve plus que du bus en bambou et papier de riz, et meurt de peur à l’idée de parvenir à sa destination mystérieuse, Finsey-Obay.

Timide, Amaryllis refuse de donner son nom et s’en va en affirmant qu’ils allaient se retrouver.

Les nuits qui suivent, Peter tentent de rêver d’elle – en vain: il rêve, non, il « glim » (un terme écossais, qu’il est préférable d’utiliser dans les rêves car le vrai mot, « dream », provoque automatiquement l’éveil du rêveur); donc, il glim d’abord d’un hôtel entièrement en cuivre (le Brass Hotel), puis d’une vieille femme habillée de noir qui se prend pour un chat (un vieux rêve à lui), mais pas moyen de trouver Amaryllis dans ces songes-là.

C’est Amaryllis qui reprend contact avec lui, bien entendu, en lui proposant qu’ils s’endorment en même temps — le moyen: que Peter regarde un ruban de Moebius avant de ‘s’endormir. Peter éprouve une sensation de large, puis de long, et glisse dans le glim d’Amaryllis. Il s ‘agit encore du bus, pourtant, et tous deux y montent ensemble — suivis par un étudiant de Peter, qu’il fait chuter afin d’être tranquille (dans ce rêve Amaryllis n’a pas de culotte!). Ils montent l’escalier du bus, le montent encore, apparemment sans fin, lorsque le bus commence à ralentir. Redescendant vite, Peter et Amaryllis constatent que cet arrêt est au Brass Hotel. Ils y feront l’amour, avant que Peter ne se réveille.

Au récit un peu étrange de cette relation à travers rêves, Peter (qui est le narrateur et l’écrivain de ce roman/journal), s’ajoutent des bribes de souvenirs récents de Peter: il sort d’une histoire d’amour déjà bien compliquées, avec une petite goth prénommée Lenore. Déjà une jeune femme tourmentée, ayant du mal à être heureuse. Lenore était étudiante en art, à l’école où peter donne quelques cours. Tout comme l’étudiant qu’il a poussé dans l’esacleir du bus — et qui le lendemain, dans la réalité, s’amène couvert de pansements! Les glims influencent-ils le « unglim »? Amaryllis avoue que oui, et elle connaît effectivement plusieurs des étudiants de Peter, ayant été inscrite dans cette école un peu avant que le jeune peintre vienne y enseigner.

Rêves, souvenirs, coïncidences se poursuivent… Amaryllis demande à Peter de faire un glim — dont le décor s’avère en fait trait pour trait le tableau « gas » d’Edward Hopper. Une sorte d’Amérique fantasmée, qui dans leur glim se poursuit au-delà de la station d’essence vers un motel miteux (rêve de Peter, apparemment?) et une boutique de souvenirs (curieusement présente dans leurs deux souvenirs)… D’autres motifs tissent ces basculements entre rêve et réalité, en particulier la culture picturale de Peter, et une certaine fascination pour les structures qui se réitèrent elles-mêmes: labyrinthe végétal, bouteilles de Klein…

De tous les romans d’Hoban que j’ai lu, celui-ci, le plus récent je crois, est assurément le plus lumineux: on y retrouve le style limpide et l’humour tordu de l’auteur, mais avec une légèreté inaccoutumée chez cet écrivain d’ordinaire plutôt sombre, et qui préfère en général des fins plus ou moins dramatiques. Cette fois apaisé, semble-t-il, il offre un court roman absolument fascinant par son étrangeté (encore que l’essayiste Harry Morgan parlerait sans doute plutôt de « roman subliminal »), d’un merveilleux onirique traversé d’images tour à tour sombres ou lumineuses, de références cultivées (les peintres surtout — Amaryllis traite d’ailleurs, à juste titre, Peter de « culture snob ») et de petites touches ironiques. A la fois très visuel (avec trois ou quatre dessins, d’ailleurs) mais aussi très sonore (pour Peter les rails du métro crient « wheats-yew wheats-yew! », par exemple), très urbain (Londres!), d’une belle tension dramatique, un roman qui m’a infiniment séduit.

Russell Hoban demeure pour moi une sorte de mystère: jamais publié en collections spécialisées, toujours auteur de fantasy (à l’exception de Riddley Walker, son roman de SF de 1980 que la critique américaine Elizabeth Hand déclarait encore « one of the greatest works of science-fiction of the past century » dans le numéro de juin dernier de F&SF), il est comme une sorte de Jonathan Carroll qui serait obstinément ignoré par la critique SF/fantasy — mais qui trace sa route en toute originalité, en totale intégrité.

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