#461

Noté le mardi 9 septembre 2003

Journée bouquinistes — après un somptueux breakfast au Russell Hotel. Mireille aime entrer partout & bien lui en prend: jamais encore je n’avais osé pousser les portes de ce palace excentrique Sa façade au gothique tout à la fois outrancier & suprêmement élégant m’attire pourtant depuis des années. Oh, ah: bouchée bée & ravissement. Richesse ostentatoire, luxe étouffant, les moquettes nous chatouillent les genoux, les vitraux resplendissent, le grand escalier est une vague de marbre figé en dentelles roses & ocres… Épastrouillés dans les profonds fauteuils du bar, nous savourons l’impression d’être riches, au moins une vingtaine de minutes…

Promenade sur Charing Cross Road, la rue des librairies. Blackwell’s a fermé ses portes, les bouquinistes pour leur part sont toujours là (il y avait quelques menaces sur leur pérennité). Murder One également, sous ses arcades de brique sombre, qui m’offre comme à son habitude l’étourdissement des ses rayonnages croulant sous les polars, et de son sous-sol emplis de SF & fantasy. Après cette plongée dans un univers qui m’est familier, Mireille & Gianji m’entraînent dans une petite rue que jamais encore je n’avais osé explorer: Cecil Court. Il s’agit d’une courte artère piétonne où s’aligne le principal de ce que Londres connaît de libraires d’ancien & marchands d’estampes. Un piège à bibliophile, assurément, & comme tel un lieu que j’avais pour le moment encore évité de peur d’y faire quelques folies… Entré chez un libraire spécialisé en livres anciens pour la jeunesse, je me fait du mal en découvrant qu’ils ont sur leurs rayons plusieurs exemplaires des splendides recueils de contes & illustrations qu’Edmund Dulac livrait autrefois à chaque Noël… Je n’avais jamais vraiment envisagé d’en tenir un entre mes mains tremblantes. Ému, je feuillette ces volumes pour moi mythiques, admirant les reproductions de Dulac — & tremblant en voyant le prix (entre 200 & 300 £).

Bonheur: pour fêter mon prochain anniversaire, mes compagnons m’offrent chez un marchand proche une repro d’époque d’Arthur Rackham! Un torturé paysage de ronces & de branches d’où tente de se trier une jeune femme poursuivie par la forme évanescente d’un renard. Une splendeur.

Lente descente jusqu’à la National Gallery & tea time avec scone & clotted cream au salon de thé du musée, le Crivelli’s Garden, avant une visite de la crypte mercantile de St-Martin-in-the-Fields. Au-delà de la boutique & du restau, une crypte encore libre expose des tableaux & reproductions d’artistes actuels, ma foi fort à mon goût. M’extasiant avec Mireille sur une amusante repro (un paysage urbain à la perspective déformée & aux couleurs acidulées), qui est suspendue toute seule sur le côté un peu obscur d’un pilier, je me retourne pour saisir le regard réjouis d’une dame bien anglaise, genre vieille fille aimable & excentrique. Elle ne peut s’empêcher de bouillonner d’une joie naïve, d’une effervescence touchante, lorsque je lui demande un exemplaire de son tableau — car il s’agit de l’artiste, bien entendu, Jane Oldfield. Nous remontons sur Covent Garden où officie comme d’habitude une petite formation à cordes — dont un blond charmant qui semble beaucoup s’amuser. Comme nous passons le long du Royal Opera (Gianji tient à en voir la façade), un jeune danseur sort de l’école de ballet: le fugitif éblouissement d’une beauté idéale.

Fin de journée au Skinner’s Arms, le pub assez chic qui se trouve près de l’hôtel. Moulus par les piétinements au musée & les errances bibliophiliques. Douce fatigue…

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