Tableaux Tuileries (3)
Visages en vitrines: rue de Passy, les verrières des cafés se sont emplies de vieilles dames, qui dans le plein soleil de midi papotent en tailleur chic & rides profondes. Atteints de jeunisme aiguë, les deux flâneurs que nous sommes ne jetons qu’un coup d ‘oeil à la rugueuse géographie de ces visages anciens, avant de continuer plus loin, à la recherche de tables moins intimidantes. Sans concertation nécessaire, nous freinons dés l’aperçu d’un gentil minois, la bouille ronde & les grands yeux bruns d’une très jeune fille. Mon compagnon en esthéte gourmand choisit sa place afin d’admirer à son aise cette Katie Holmes parisienne. Tandis qu’en éternel éphébophile je me contente fort bien, à mon habitude, du spectacle de sa propre jeunesse. Nous sommes dans le règne du regard: tableaux, avenues ou jeunes gens, quelle différence? Tout est dans le plaisir des yeux, dans la sensualité d’une admiration.
Métropolitain: la toute belle Roxane, notre hôtesse pour ce séjour, a le bon goût d’habiter à Saint Mandé, tout à côté d’une station de la ligne 1. Nous ferons donc de cette ligne l’épine dorsale de nos expéditions, qui d’un expo à une autre trouveront leur épicentre au Jardin des Tuileries.
Différence: alors que nous foulions du pied l’épais tapis de feuilles mortes des Tuileries, Olivier me fit toucher du doigt ce que depuis longtemps je ne savais définir comme substance-même des deux métropoles comparées, Londres & Paris. Il paraît que c’est d’une distinction kantienne qu’il s’agit: entre le beau & le sublime. Tandis qu’à Londres, notre préférée, les émotions sont de l’ordre de l’esthétique, du subtil & de l’étrange — donc: du beau —, Paris s’avère tout le temps mégalomane, elle nous submerge, tout y est en immensité, à l’image de la rectitude du Jardin des Tuileries & de l’espace démesuré du Louvre — le sublime.
Il semblerait qu’à chaque extrémité d’une avenue, Paris doive ériger un monument. Qu’à chaque dégagement des rues, une grandiose perspective doive se présenter. Qu’à chaque bâtiment officiel, chaque administration, doive être dévolue un palais. Si à Londres tout demeure à taille humaine, l’esthétique parisienne est celle du grandiose, cette ville nous dépasse. L’Histoire à Paris se déroule en grandes pompes & en boulevard rectilignes, alors qu’à Londres elle se faufile, s’entasse & s’explore.
Les deux ont leur charme, mais aussi prétentieux que je sois, je trouve mieux ma place à Londres: dans les beaux quartiers de Paris, tout me dit que je suis un intrus sans le sou. Un passager clandestin au pays du sublime, tandis que le beau me semble naturel.