#556

« En cas de tempête, les parcs seront fermés » — Paris, noté le vendredi 2 avril:

En sortant de l’immeuble de Jean, je tombe nez à nez avec une petite vieille toute de rose vêtue, qui me jette un regard suspicieux. Ou bien s’agit-il d’un regard…. coupable? Car la mémé fuschia brandit un immense tournevis, avec lequel je l’ai surprise en train de démonter l’interphone! Des scénarii de polar anglais me passent par la tête, à base de délinquance sénile.

Rendez-vous chez Gallimard, avec Seb Guillot, qui après que nous ayons été prendre un semblant de petit-déjeuner dans le bistrot non loin de l’auguste NRF, m’amène voir son bureau — un coin de la pièce qui sert pour les archives. Quoiqu’il en soit, la maison Gallimard en jette, avec son mélange de vieilles pierres & de design récent (panneaux de bois & plaques de verre dépoli) & bien que le tout fasse quelque peu labyrinthique, le résultat projette finalement assez bien cette impression d’un mélange de luxe feutré & de désordre savant qui va avec l’image NRF. L’alliance du bouquin poussièreux & de la moquette douce, un éclat intellectuel.

Rendez-vous ensuite avec mes parents, à Bercy: bises-bises, occasion de renouer avec un restau indien que j’avais découvert en compagnie d’Olivier & de faire visiter aux auteurs de mes jours ce parc de Bercy que j’aime tant. Les abandonnant ensuite, afin qu’ils regagnent leur gare, je traverse vers la BNF, admire les sablières, reluque amusé les grands temples abandonnés de l’industrie, en m’interrogeant sur leur avenir — ce sont de belles réussites architecturales, dans leur genre, qu’il serait certainement un peu dommage d’abattre: ce qui demeure encore du patrimoine industriel du XIXe mérite d’être conservé/réhabilité. Je flâne lentement avant de me rendre dans la librairie de San Francisco (un bouquiniste américain, rue Monsieur-le-Prince).

Moment d’écriture, assis au jardin des Tuileries. Murmure du bassin, crissement du sable, grincement métallique des chaises vertes. Le long toit d’Orsay passe d’un bleu métallique à un anthracite éteint, comme le ciel se grisaille & que le jour baisse un peu. La barre chocolatée de la Tour Montparnasse pointe juste à l’angle d’un des casques prussiens qui ferment les deux extrémités de la toiture du musée.

Passe un garçon grand, long, blond, serré dans une vareuse de cuir noir. Tout à l’heure, j’ai croisé trois garçons merveilleusement beaux, qui se tenaient assis dans une encoignure de la rue Bonaparte. Leur teint limpide, leurs moues boudeuses, les mèches sur les yeux, l’un cheveux d’un blond éteint, l’autre d’un châtain lumineux, le troisième d’un noir d’encre. Ce dernier sucotait un cure-dent. Tous jeunes & cet air mêlé d’innocence un peu hébétée & de dureté feinte, trois garçons à peine vus & cependant dévorés des yeux, si beaux, si douloureusement beaux. Frisson, j’ai un peu froid, spleen des photons déclinants. Le soleil fume dans le halo blanc des nuées, au-dessus d’un groupe de statues en marbre sale. Le zinc luit, les nuages se soulignent d’un vague rose chair, à peine griffé par la pointe dorée de l’obélisque.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *