J’ai vu le cimetière où les barbapapas se cachent pour mourir. Sur la rive droite de Bordeaux, en pleine réhabilitation depuis une poignée d’années, non loin de l’ancienne gare d’Orléans (maintenant devenue un complexe cinématographique), des parcs et jardins poussent leur verdure – et là, dans une zone pas encore tout à fait redéveloppée, peuvent se contempler les ossements de défunts barbapapas. Comme des sortes de bulles grises, dans lesquelles se découpent fenêtres et ouvertures diverses autant que géométriques.
Un peu plus loin, de très hauts ventails en fonte découpées de motifs à la Matisse ouvrent sur le nouveau jardin botanique. D’abord des prés et champs en extraits, tels des morceaux de paysages prévelés puis redéposés dans des bassins, au sein de la pelouse du jardin que strient des barres de piertre à peine affleurantes. Typique de la nouvelle poétique / esthétique des aménagements de jardins publiques, cet espace botanique tout neuf rappelle par sa plantation architecturée et ses jeux de matière le parc de Bercy, à Paris, ou celui de Gerland, à Lyon. En plus encore recherchée, son inventivité est admirable: après les extraits de paysage, ce sont des vasques de pierre, posées comme de véritables érosions, qui abritent en leur coupe chacune un exemple de micro-écologie littorale, dunes, oyats, panicauds, pins martimes, chênes verts et bois flottés.
Sur une autre pelouse, face aux cornouillers douteux (du Japon), les tuteurs et piliers des plantes grimpantes prennent des formes évocatrices des modes d’accroche des différents végétaux. Puis un plan d’eau se découpe en rectangles mondrianesques, pour laisser affleurer par parcelles liquides nymphéas, iris, joncs ou nénuphars.
L’après-midi finissante, nos pas traînent vers le quartier Saint Michel, par des rues où l’air ne se meut plus, les seuls vents coulis soufflants des soupirails. La flèche de Saint Michel se ré-encrasse déjà un peu, tandis que seul un proche de l’église est maintenant nettoyé. Qu’importe: je préfère la fière dentelle de cette flèche-ci, campée sur le basculement maîtrisé de ses arcs-boutants, plutôt que la flèche de sucre blanc, presque trop nette, de Pey-Berland où étincelle une madonne rutilante sur les filets blancs du ciel pensant de moiteur. Les garçons de par les rues se dépoitraillent volontiers, ont généralement cet aspect lissé que confèrent sueur et lumière d’été, un minou devant « L’Antre des dragons » laisse à voir ses tétons jolis à travers le filet rouge de son maillot. Trop chaud, je vous dit, il fait trop chaud. A blanc, le vaste azur bordelais pèse sur les pointes hérissées des portes (Cailleaux, Bourgogne, etc), des églises (Saint Eloi, Saint Paul), des clochetons de palais bourgeois et de la Grosse cloche. Les grattent-ils? Peu chatouilleux, le ciel de Bordeaux sait bien qu’il domine sans partage les maisons basses et la si large Garonne.
Demain à l’aube, retour vers Lyon, avant de courir vers la rousse Provence.