Sortant de l’INFL, je me demandai un instant que faire — mais un simple regard sur le plan du métro me renseigna: repos chez Jean-Paul puis repas avec Olivier. Un jour bien empli. Au lendemain, incomba tout ce que je pensais répartir sur deux journées: un peu de shopping (provisions de Jane Austen, mais aussi de Fables et d’autres tpb de chez Vertigo), un peu d’Orsay (exposition Lovis Corinth, un petit peintre allemand qui ne m’impressionna point trop, mais il est vrai que je ne goûte pas énormément l’expressionnisme) et enfin Vlaminck: des années que je parais avec mon ex-coloc que cet artiste fauve serait enfin « redécouvert », qu’on lui consacrerai une grande expo. Quoique… « grande » est sans doute terme trop fort, vu l’exiguïté du musée du Luxembourg. Mais heureux événement. Et grande découverte: au-delà de sa période fauve (et après ces quelques années à explorer l’art moderne, je crois qu’il s’agit de mon style favori), sa période pseudo-Cézanne, me fut une très belle surprise. Vlaminck y passe au sombre, sans rien perdre de lumière et de force. Sauf sans doute en reproduction: cette manière-là passe assez mal en offset, qui en éteint le feu intérieur.
Archives mensuelles : avril 2008
#1426
Montreuil, mercredi dernier: entré dans les locaux de l’INFL à 9h du matin, pour y donner un cours sur la fantasy à des stagiaires libraires, je n’en ressortis finalement… que huit heures plus tard. Les organisatrices se trouvant sans intervenant pour l’après-midi, je décidai donc d’improviser un cours sur les origines de l’esthétique SF, l’idéologie du progrès, les premières utopies, le tiraillement du genre entre planétaire et extra-planétaire, et tutti quanti.
Je n’avais jamais fait cours plus de 2 heures — et encore, des conférences plus que des cours, mais l’exercice ne fut pas trop malaisé, mon auditoire (venu de diverses Fnac) faisant preuve d’une agréable attention et ne semblant pas trop s’ennuyer.
Expérience au goût d’imprévu, mais aussi d’uchronie personnelle: le temps d’une journée, j’eus l’impression de me trouver dans la peau d’un employé de l’Anpe. Ah, j’imagine qu’une existence de « formateur » m’apparaitrait très vite aussi ennuyeuse que stérile, mais ce fut là amusant.
#1425
Retour de Nice. Où il s’avère que même les savants fous s’y retirent: j’ai vu en centre-ville une « Pharmacie Dr. Nicolas ». En dépit de la subtile francisation, voilà qui est révélateur. Je n’ai pas eu l’occasion de vérifier dans un annuaire local s’il existait aussi un dentiste du nom de Dr. Cornélius, par exemple. Ou un chirurgien nommé Dr. Lerne.
#1424
Eh bien, cette page va sans doute être un peu silencieuse un moment: je vais bouger une petite semaine, vers Paris et Nice.
#1423
Ouf: Dracula fini, Frankenstein aussi. Extrait.
Blasphématoire sujet d’étude, la création de la vie a pourtant inspiré aux cours des siècles les travaux de quelques hommes — et notamment, de religieux. On a vu que saint Albert le Grand était renommé pour la création d’une tête parlante et, trois siècles plus tard, au XVIe, c’est un rabbin, rien moins que le Maharal de Prague, qui donna la vie. Dans le but de défendre sa communauté, le rabbin Loew sculpta une immense figure de glaise à laquelle il donna la vie en inscrivant EMETH sur son front. L’introduction dans la bouche de la créature d’un morceau de parchemin portant le nom de Dieu (le tétragramme Yud Hé Vav Hé) fit naître le Golem à la vie.
Le Golem étant devenu dangereux, son créateur se trouva dans l’obligation de lui retirer le don de vie qu’il lui avait imprudemment fait. Le rabbin Loew demanda donc à la créature géante de lui lacer ses chaussures et, dès que le front du Golem fut à la portée de Loew, il effaça la première lettre : sans l’aleph, ne restait que METH, soit « mort » en hébreu. Le Golem redevint aussitôt une simple masse de glaise. La légende voudrait cependant qu’il ne soit qu’endormi, encore entreposé aujourd’hui dans la genizah de la communauté juive de Prague, dans les combles de la synagogue Vieille-Nouvelle de Josefov.
Plus près de notre Frankenstein, l’écrivain E.T.A. Hoffmann rapportera en 1817 le cas étrange du jeune Nathanaël, tombé amoureux d’Olimpia, la fille de son professeur de physique. Las, ce que la longue-vue qui lui permettait d’épier la jeune beauté ne lui avait point révélé, c’est la nature exacte d’Olimpia. À l’aide de l’avocat Coppelius, le docteur Spalanzani a donné la vie à un automate .
Nous ignorons si Victor eut connaissance de l’autre Olympia, celle de son mentor la Mettrie, mais peut-être l’exemple malheureux de cette automate constitua-t-il un des éléments qui orienta son choix pour l’organique. Toujours est-il que, déjà familier des salles de dissections aussi bien que des abattoirs, Victor en fit son approvisionnement, les lieux de prédilection où faire provende de chair et d’os : « Je prélevais des ossements dans les charniers et dérangeais de mes doigts profanes l’agencement secret et prodigieux de l’édifice humain ». Car plutôt que d’animé ce qui ne l’a jamais été, comme la glaise du rabbin Loew, Victor choisit de « rendre la vie à un corps que la mort avait apparemment condamné à la putréfaction ».
Réfugié sous les combles vastes et hauts d’une demeure typique de l’architecture bavaroise, « dans une pièce, ou plutôt une cellule solitaire, séparée des autres appartements par une galerie et un escalier », Victor besogne tel les bouchers de Quimper qui, « les bras retroussés », font « successivement apparaître dans l’intérieur, au tranchant du couteau, un tas de choses vertes, rouges et noires, qui [ont] des couleurs superbes ». Travaux fréquemment répugnants et, dira Victor à Walton : « mes yeux se révulsaient devant les détails de mes activités. […] souvent mon humanité me faisait me détourner avec dégoût de ma tâche, tandis qu’une impatience sans cesse accrue me faisait aller de l’avant ». Aux savant des débuts de la révolution industrielle, un problème se posa maint et maint fois : celui de la miniaturisation. C’est parce que l’industrie de son temps ne pouvait fabriquer des pièces assez fines que Charles Babbage (1792-1871) ne parvint jamais à achever sa « machine à différences », la préfiguration des ordinateurs. Et de même, Victor Frankenstein craint-il de voir échouer son utopie anatomique, « la petitesse des organes [ralentissant] considérablement [son] travail ». Il se résout donc à travailler sur une plus grande échelle et, comme le rabbin Loew, à voir sa création le dépasser de plus d’une tête. Immense sera sa créature.
Tandis que tout l’hiver, le printemps et l’été, Victor Frankenstein poursuit son travail sur la naissance d’une vie nouvelle, le monde continue de tourner — et les gens de donner la mort. En France, les beaux espoirs de la Révolution ont tourné aux cauchemars de la Terreur. Au sein du couple Louis XVI / Robespierre, c’est bien le sans-culotte qui fini par porter le pantalon, mais peu de temps : les deux hommes auront finalement opté pour la même coupe. Le 21 janvier 1793, à 10h 22 du matin, Louis Capet, ancien roi de France, est guillotiné par le bourreau Sanson. Le terrible Maximilien le suit, le 10 juillet 1794. Entre-temps, Charlotte de Corday d’Armont aura poignardé dans son bain Marat, le 13 juillet 1793, qu’elle tenait responsable de la proscription des girondins et de l’instauration du régime de la Terreur — et ce sont rien moins que 17 000 personnes qui auront été exécutées après procès, et 25 000 autres sur simple constat d’identité.
Avec Robespierre, tout de même, la Terreur s’éteint. Et c’est exactement au moment où le sang cesse un peu de couler en terre révolutionnaire que, dans son grenier bavarois, Victor parvient à l’accomplissement de son obsession. Nous sommes en novembre 1793 et soudain — « je vis s’ouvrir l’œil jaune et terne de la créature ; elle respirait avec peine et un mouvement convulsif agitait son corps ».