#1436

Firenze / 4 (où le capitaine n’aime la campagne qu’en peinture)

Si à la droite du quartier San Niccolo s’élève la colline de San Miniato, à sa gauche, juste au-dessus de notre hôtel, la Pensione Silla, sont es jardins Bardini. Je tenais à m’y rendre, car peu amateur d’art ancien — alors que je suis en plein coeur d’une cité de la Renaissance! — j’avais cependant repréré qu’une exposition se tenait sur les Macchiaioli. Ceux-ci étaient des peintres toscans de la fin du XIXe siècle, qui opérèrent un passage aux scènes de la vie quotidienne, et notamment de la vie campagnarde Ces jeunes gens vivaient déjà dans la fin des espoirs du Risorgimento, confrontés qu’ils se trouvaient à la réalité de l’unité italienne. Ils étaient également influencés par l’art de leur époque, et notamment par la pratique des peintres français dits de Barbizon. Autour de la personnalité de Fattori, représenté par onze tableaux de toute beauté (à les voir on comprend fort bien pourquoi Fattori fut célébré comme le maître de ce mouvement), quatre sections présentaient la peinture de ce temps et de cette région — y compris des scènes de villes, très dans la mode de l’époque, au point qu’elles auraient tout aussi pu être peintes par un Jean Béraud.
Plus tard, au gré des autres musées florentins, je vis quelques autres Fattori.

La promenade se poursuivit par les jardins Bardini et, surtout, par les jardins Boboli, un chef-d’œuvre d’art paysager aux immenses haies et aux longues allées ponctuées de statues. Ils n’étaient pas fous, tous ces Anglais qui entre la fin du XVIIIe et le début du XXe vinrent s’installer en Toscane, ou s’y rendre en villégiature. Dans cette nature assagie, peignée, sous ce grand ciel bleu et les élans sombres des cyprès, je ne cesse de croiser les fantômes des protagonistes de Chambre avec vue

Toutes les demi-heures, toute la ville « sonne beau », comme disait mon arrière grand-mère. Carillons omniprésents.

(à suivre)

#1435

Firenze / 3 (où le capitaine fréquente les grands de ce monde)

Le prétexte de ce séjour était que je devais tenir compagnie à ma vieille mère, tandis que mon paternel serait au jardin d’iris de la piazzale Michelangelo, en tant que juré de la 15e Mostra Internazionale dell’Iris. Une activité qui, outre quelle n’est pas sans amuser l’auteur que je suis d’une étude sur Nero Wolfe, l’Homme aux orchidées, comporte également son lot de mondanités. Ce fut donc dans un petit château au sommet d’une colline couverte de cyprès et d’oliviers, que nous avons eu l’occasion de déjeuner.

Garden Party tout d’abord, sur une verte pelouse qui finissait sur une terrasse de brique dominant les jardins — et un somptueux panorama. Puis déjeuner à l’intérieur, mon père étant assis à côté de la marquise Gondi de Retz. Life with the filthy rich. Un garçon en veste et gants blancs nous sert. Le Palazzo Gondi n’est rien moins que la plus énorme demeure particulière de Florence.

Il ne cesse de m’étonner combien je peux souvent me retrouver à évoluer en des milieux ô combien plus fortunés que moi. Ce qui m’esbaudit tout en me permettant d’avoir l’oeil de l’ethnologue. De plus, mon statut d’écrivain m’octroit le droit de porter des tenues pas forcément admissibles pour d’autres — cette fois jean clair déchiré au genou, chemise indienne noire au col droit et veste de velours. À voir toutes ces dames emperlousées, manucurées et permanentées évoluer sur l’herbe d’un vert acide, sous une tonnelle ancienne, je ne peux m’empêcher de penser à des films de James Ivory ou de Peter Greenaway. Las, papa n’est pas Hercule Poirot et il n’aura à résoudre aucun crime durant son séjour parmi les plantes à bulbe. Le meilleur de ces quelques heures dans la haute société fut toutefois d’être accompagnés en ville par un délicieux vieux gentilhomme, cultivé et amical, avec juste cette pointe de légère excentricité qui fait le véritable seigneur.

(à suivre)

#1434

Firenze / 2 (où le capitaine passe de culte en culte)

Une matinée à l’église: pour un impie tel que moi, cela constitue assurément un record. Santa Croce, le panthéon italien: cloîtres, chapelle de Brunelleschi, et partout des tombes d’Italiens célèbres — Dante, Michel-Ange, Machiavel, Galilée, mais aussi le dramaturge Alfieri et le poète Ugo Foscolo… Ces deux derniers n’étant guère connus en France (et leur nom donc non traduit dans notre langue), mais néanmoins fort intéressants, en ce qu’ils sont bien représentatifs de la fin du XVIIIe, de ses espoirs révolutionnaires vite éteints par la Terreur puis la mégalomanie de Bonaparte, et finalement tout de même, de l’unification italienne. Un sujet d’autant plus intéressant, désormais, que le ministre ligueur de Berlusconi prépare une fédéralisation du pays. Complexe et torturée histoire italienne, dont Foscolo semble particulièrement symbolique: né d’un père vivant dans une ville qui n’est plus italienne maintenant, dans une île qui n’est plus italienne non plus, mort à Londres en exil, son corps rapatrié après l’unifiation pour être enterré à Santa Croce qu’il admirait tant…

Deux autres églises avaient porte close, mais pas la synagogue. Première fois que je pénétrai dans un tel lieu de culte. Sous le grand dôme vert et derrière cette façade d’un élégant rose tendre que l’on nous dit « byzantin », je découvris donc la beauté sombre et très mauresque d’un intérieur de synagogue. Enfin une église dont toutes les aprois sont toujours peintes, comme d’antan. Fascination de ces motifs bruns sur rouge, en multitude, à l’effet tout à la fois riche et presque hypnotique.

(à suivre)

#1432

Firenze / 1 (où le capitaine commence par râler un peu)

Somme toute, il est rassurant de constater combien il y a certaines constantes dans nos civilisations occidentales: à Florence comme partout ailleurs, les bibliothécaires sont revêches et l’administration postale barbare.

La Bibliothèque nationale est un très beau et grand bâtiment qui, ouvrant sur un petit square qui donne sur le quai de l’Arno, présente un sévère portique de colonnes sombres, tandis que sur le côté, l’édifice acquiert un charme à la Radcliffe Camera. Mais à l’intérieur… Eh bien: « Visita? No! » fait une cerbère froncée au chignon serré. Cette bibliothèque est plus sévèrement gardée qu’une banque: portillon anti-terrorisme et interdiction de pénétrer. Je n’avais jamais vu ça. On prend la littérature vraiment au sérieux, en Toscane.

Bref: un peu plus profond dans le quartier de Santa Croce, un unique bâtiment moderne exhibe sa vilaine face anguleuse seventies, aux délicates teintes de béton pisseux et de crasse grisâtre. Il s’agit de la Nueva Poste. En face de cette pustule postale, seule à dépareillé le centre historique, un café propose parmi ses glace une « soupe anglaise » (zuppa inglese) dont je n’identifie pas la composition, mais dont la couleur jaune marbrée de brun accompagne un goût fortement caramélisé assez agréable (nous découvrirons plus tard qu’il s’agit de crème anglaise).

(à suivre)