#1614

J’apprends que Jean-Pierre Vernay vient de mourir. Voilà qui me touche autrement plus personnellement que la mort de Ballard.

À la toute fin des années 1970, Vernay avait une passion: le Fleuve Noir « Anticipation ». Et il tenait absolument à publier dans cette vénérable collection populaire — il leur proposa quantité de romans, tous refusés: c’est qu’à l’époque, le FNA ne voulait pas de p’tits jeunes. Une règle qui devait changer du tout au tout peu d’années plus tard (d’où l’entrée de Wagner ou Pagel, par exemple), mais pour Vernay le coche était raté. Un de ses romans refusés par le Fleuve fut publié, un seul: Thomas et le rat, dans une collection pour la jeunesse chez Nathan, qui ne dura pas. Je lus ce roman et l’adorai — je l’écrivis à l’auteur, qui réagi à cette passion fanique avec timidité et embarras. Nous correspondîmes tout de même un peu.

Durant ce temps, Vernay continuait à entretenir son propre culte du FNA, dans une chronique mensuelle de tous les titres publiés par « Anticipation » — et il y en avait, plusieurs par mois! Cela paraissait dans A&A, le fanzine de Francis Valéry, et l’exercice était très divertissant. Puis vint Emmanuel Jouanne et d’autres ambitions. Je rencontrai quelques fois Vernay, alors — notamment quand, avec Jouanne, ils « gate crashèrent » une MicroCon qui se tenait chez Xavier Legrand-Ferronière — une micro-convention comme nous aimions en tenir une fois par mois à cette époque. Vernay avait une grosse barbe, l’aspect d’un bûcheron, la gentillesse d’un ours, et la consommation d’alcool nettement trop élevée. Il demeurait sympa avec moi, si bourru, ce qui contrastait tout de même de manière agréable avec le mépris haineux de Jouanne. C’est aussi à cette MicroCon que je vis pour la dernière fois le caustique et pourtant adorable Gérard Coisne — victime d’une crise cardiaque tellement jeune, quelques temps plus tard.

Je ne revis plus Vernay, qui se lança dans l’aventure littéraire de Limite, puis publia deux recueils chez « Présence du Futur » (Fragments du Rêve et Dites-le avec des mots), deux recueils qui comptent certainement parmi les ouvrages les plus beaux, les plus talentueux, jamais produits par la SF française. Mais on ne les remarqua guère, la mode des « néo-formalistes » étaient déjà terminées, Vernay loupait hélas un nouveau coche de notoriété et je crains que ses deux recueils (dont un en collaboration avec Jouanne) demeurent à jamais méconnus.

Vernay quitta la SF, mais je me disais que je le reverrai, un jour. Ce ne fut pas le cas. Vernay n’a pas survécu longtemps à son vieux complice Jouanne. Il n’avait pourtant que 5 ans de plus que moi. Quelle connerie, la mort.

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