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Londres décembre 2011, digressions – 3

Longtemps que je rêve de voir la neige à Londres — mais ce ne fut encore pas, le temps s’avérant même plus clément qu’en France au même moment. Reste tout de même qu’urbano-tourismer en décembre, cela présente un caractère de rudesse assez net. J’avais pris mon fidèle parapluie, pour lequel il ne s’agissait que d’un retour à la maison — il s’agit d’un robuste James Smith & Sons, une petite folie que je me suis offert il y a quelques années. La pluie, ni très forte ni très fréquente, ne me fit donc pas peur. Quand au gris, eh bien, c’est Londres n’est-ce pas ? et la couleur crème de beaucoup de bâtiments, tout comme le rouge de nombreux autres, vibre et rutile idéalement sous ce ciel bas, pas un hasard, depuis le temps les Anglais avaient bien compris comment rendre leurs villes moins tristes. Plus gênante en revanche est la nuit — qui tombe si vite, si tôt, en hiver. Dans mon souvenir ce séjour conserve donc des teintes d’ombre, de rouge-orangé et d’éclairs bleutés. Quand au froid, qu’évoque Colville dans son fanzine dériveur, sa présence obligée se fit parfois pesante, parfois légère, jamais en tout cas aussi brutale que lorsque j’eus l’idée ô combien erronée de traverser le parc de Battersea. Si l’environnement urbain est dur — pierre, béton, brique, macadam — que dire de la nature ? Sitôt entré dans le parc, je réalisai que la température venait de chuter de plusieurs degrés. Et alors que j’avançai sur un chemin, le froid monta brutalement dans mes jambes, pénétrant jusqu’aux os. Les ombres s’étiraient en lames bleutées et le sol se barbouillait de boue. Impossible de tenir : je regagnai précipitamment le bord du parc et le trottoir extérieur, avant de virer à un beau bleu schtroumpf. Tout de suite, la température redevint supportable. Je me savais peu amateur de verdure, mais à ce point ? Enfin, je puis continuer en direction de la centrale de Battersea mon chemin — vous savez, la fameuse centrale électrique abandonnée que l’on voit en pochette d’Animals des Pink Floyd, cette masse de briques rousses avec quatre tours blanches immenses, les cheminées. Je ne m’en étais jamais approché et l’envie m’en avait pris, à l’issue d’un parcours de l’autre côté de la Tamise, à Chelsea, à la recherche des différents logis de James Bond et d’Agatha Christie. Ce fut là l’un de mes deux grands « voyages » du séjour : quasiment un tour complet de Londres à pied, puisque retraversant devant la centrale, j’allais me perdre un peu et à dessein dans le quartier de Pimlico, que je connais peu (j’ignorais même qu’un bout de canal perçait ici), puis remontais vers le nord — logeant dans un hôtel près de St Pancras et King’s Cross. Ce jour-là d’ailleurs, comme celui de la promenade à Reading, il fit particulièrement beau. Lumière tendre et fragile sur Chelsea, coupante sur Battersea, chaude et rasante sur Pimlico.

Le lendemain sous un ciel très gris et très bas je refis un autre tour, non moins ample, afin de tester et de finir de mettre au point une promenade Sherlock Holmes à laquelle j’avais cogité depuis quelques temps, depuis le confort de Google Earth. Il s’agissait de tester sa faisabilité, de voir tout « en vrai », de vérifier des points de parcours. Depuis Baker Street — forcément — jusqu’à l’hôpital St Bart’s, en une immense boucle qui m’amena aussi à traverser St James Park (où un écureuil gris me monta sur les genoux), Pall Mall, le vieux Scotland Yard (d’où je vis émerger quatre policières à cheval), le Strand… Pas une mince affaire donc, et il conviendra lors de la publication que je précise que cela doit se faire en plusieurs étapes ! Le soir venu, rejoignant mon couple de camarade, je flottais dans une sérénité rare. Le zen par la pratique de la marche urbaine. Et pourtant, déambuler ainsi provoque de récurrents passages de quasi déprime, avec la pesante solitude, personne à qui parler et l’impossibilité de s’asseoir sur un banc ou un bord de pelouse, vu le froid et la nuit. Une fois seulement rentrai-je dans un pub, près de St James, attiré par un panneau vantant leur fish and chips. Et une autre fois dans un Starbucks. Mais le manque de sous, et le manque de temps : marcher, marcher, tant de choses à voir ou revoir, d’endroits à visiter et de lieux précis à vérifier — la résidence de Wodehouse derrière Park Lane, check. La maison de Dorothy Sayers près de Gray’s Inn Road, check. Celle de Conan Doyle non loin de Baker Street, check. L’immeuble sur Piccadilly où logeait Lord Peter Winsey ? check (la porte à côté de chez Dracula). Oh, et un logement de Nancy Mitford non loin. Toujours la fiction : chez moi Londres et la Bibliothèque rouge tendent à se confondre. Ou encore ce parcours auquel je songe depuis si longtemps, de Lénine à Rimbaud : j’en ai encore vérifié le début, trouvé des passages pour piétons plus commodes et plus jolis.

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