Chez Kate Griffin l’ensemble des effets de style, la manière dont elle syncope sa langue et aligne de nerveuses descriptions, sert directement le sentiment urbain qu’elle veut atteindre. Chez elle, Londres vibre, on ressent réellement la ville. Tandis que chez China Miéville, dont je lis actuellement Kraken, il me semble qu’une majeure partie des effets de style, le vocabulaire volontairement obscur, les tournures alambiquées, s’ils correspondent au goût du mystère (au sens religieux) des sectes mises en scène dans cette très amusante intrigue, vient en revanche à l’encontre à la fois de la fluidité de lecture (je bute souvent sur ce qui me paraît d’exagérées fioritures) et du sentiment de la ville. Pourtant, ici ou là de superbes formules et des idées renversantes émergent, mais le flot lexical, l’amour des phrases tordues et des associations d’idées peu explicites, tend à les submerger. Il faut accepter de se laisser porter par ce torrent, on est dans le moite et le brumeux, tandis que chez Griffin l’écriture est de l’ordre de l’électrique, du vif (au sens où l’on dit d’un climat qu’il est vif, crisp en anglais).
J’ai également lu deux larges morceaux du Grand incendie de Londres de Jacques Roubaud, c’est-à-dire la partie « Nothing doing in London » et son commentaire — le reste de cet ouvrage me semble d’un fumeux et d’une prétention sans nom, mais ces passages d’un journal londonien de Roubaud sont rédigés avec une admirable clarté et j’y retrouve, formidablement bien exprimés, les sentiments qui m’animent aussi lors de mes promenades à Londres. (les dernières desquelles me laissent en tête un nombre prodigieux d’images, qui tournent et tournent comme un grand paysage interne, une très belle provision d’images et d’impressions)
Enfin j’avance avec plaisir dans une biographie de Christopher Isherwood, celle de Parker (2004). Après avoir tant et tant lu et relu Isherwood, qui ne dévoile jamais que voilée et réinterprétée sa propre vie, lire une biographie complète est une expérience fascinante. Cet homme, sa vie, son époque et ses amis sont une vieille passion mienne. Sans doute peu connu en France, j’imagine, Isherwood continue en revanche à bénéficier d’une importante aura dans le monde britannique. À preuve il y a peu ces deux très belles et fidèles adaptations, au cinéma A Single Man avec Colin Firth en Isherwood âgé, et le téléfilm Christopher and His Kind avec Matt Smith dans ce rôle jeune.
Même si je ne partage pas globalement ton appréciation générale de Roubaud (prétentieux: non, fumeux: un peu), je me doutais que ses pages sur Londres te plairaient. Elles sont en effet magnifiques, et je me laisserais facilement aller à les citer à tout bout de champ !