Justement, il y a quelques soirs de cela, j’évoquais avec Harry Morgan les charmes étranges de L’Histoire de la science-fiction moderne de Jacques Sadoul, qui avait illuminé notre enfance à l’un comme à l’autre. Et un autre soir, vaguement ensuqué dans une légère fièvre d’angine, je me demandai soudain avec inquiétude où se trouvait donc rangé mon précieux exemplaire? Ça va, je le trouvai aussitôt, au sein des essais sur la science-fiction et le merveilleux rangés dans le couloir. Précieux, oui, car unique: mon exemplaire de L’Histoire de la science-fiction moderne est relié en dur, c’est un « hardcover ». Je crois même n’avoir jamais vu la véritable édition, jaune et souple avec rabats. L’explication de cette bizarrerie, c’est qu’autrefois en bibliothèques l’on reliait les livres bellement et proprement, au lieu de juste les détruire à coup de tampons et d’étiquettes. J’ai donc une Histoire de la science-fiction moderne reliée, cousue et avec tranche-fil en tissu, le tout… emprunté à la bibliothèque par mon copain Greg lorsque nous étions ados. Je dis bien « emprunté », car il ne s’agissait pas exactement d’un vol : la bibliothèque ferma soudain, sans que les babas qui la tenaient se donnent la peine de réclamer le retour des ouvrages sortis. N’étant pas aussi fan de science-fiction que moi, Greg m’offrit donc cet exemplaire hors du commun, et comme tant d’autres jeunes gens de l’époque, je me plongeais avec émerveillement dans le flot des résumés de maître Sadoul, résumés ô combien alléchants et parfois tellement embellis par son propre souvenir que l’on pouvait être déçu de lire le récit d’origine. Un portrait de la science-fiction, quasiment une biographie du genre, par un véritable amoureux du genre, dont je connaissais de longue date le nom.
Car c’est Jacques Sadoul qui me fit découvrir la science-fiction, mais ce, bien avant L’Histoire de la science-fiction moderne. Lorsque j’en parle, jamais personne ne s’en souviens, c’est étrange, et pourtant : fut un temps où le jeune Sadoul présentait à la télé un segment d’émission pour enfants, où il évoquait des livres de science-fiction. Chacune de ces séquences commençait par Sadoul déclarant d’une voix nasillarde « Gens de la Terre, bonjour ». Pour moi, ce « Gens de la Terre, bonjour », c’était et cela reste dans mon imaginaire l’ouverture aux univers insoupçonnés de la science-fiction (ben oui, eh, nous étions au début des années 1970 et on ne parlait pas de science-fiction partout comme de nos jours, le terme était plutôt confidentiel). Je me souviens du visage de Sadoul filmé à travers une grille, « Gens de la Terre, bonjour », et de nous parler des Slans de van Vogt, que je n’eus de cesse de trouver. À mon insistance, mon père l’acheta à la devanture de chez Joseph Gibert. Une lecture qui enflamma mon imagination.
Je n’ai jamais rencontré Sadoul, juste croisé dans la foule de la convention mondiale de Brighton, vu de loin. Et bien plus tard son agent me proposa son autobiographie, que je refusai après avoir grogné contre des passages sévèrement réacs et avoir rejeté le manuscrit, écœuré, devant certains propos homophobes envers Arthur C. Clarke. Je ne pouvais décemment publier ça. Mais qu’importe : Jacques Sadoul restera à jamais le grand passeur, le monsieur qui dans le petit écran disait « Gens de la Terre, bonjour », et qui ensuite me guida dans cette science-fiction moderne qui, d’ailleurs, n’avait rien du tout de moderne — la véritable science-fiction moderne je la découvris plus tard, pendant le lycée, grâce à un autre passeur, le prof de lettres qui m’indiqua les auteurs de la « spéculative fiction ». Merci à eux.
Tu as eu raison de refuser de publier l’autobio de Sadoul. Je l’ai achetée, un achat que je ne regrette pas, car le livre est riche d’anecdotes intéressantes, mais il n’est pas toujours bien écrit. Ce n’était pas du niveau des Moutons. Cela dit, je fais également partie des lecteurs de l' »Histoire de la science-fiction moderne » et moi aussi, ce livre m’a fait rêver. Je dois à Jacques Sadoul directeur de collection chez J’ai lu la lecture de mon premier Robert Heinlein, du même « À la poursuite de Slans » que tu citais et, indirectement, de Tolkien. Une sacrée dette quand même !