Archétype, n.m. Type primitif ou idéal ; original qui sert de modèle. V. étalon, exemplaire, modèle, original, principe, prototype.
La première aventure de Sherlock Holmes, « Une étude en rouge », parue en 1887, et le personnage fit ses premiers pas dans le célèbre magazine The Strand en 1891 (avec « Un scandale en Bohême »).
Immédiatement, le prodigieux détective créé par Conan Doyle frappa les imaginations. Non seulement celles de ses lecteurs, qui lui firent un triomphe, mais aussi — celles des autres écrivains !
« Il faut une certaine force intérieure et des moyens rares de l’imposer — c’est-à-dire du talent — pour créer un type. » écrivait Joseph Kessel en 1929. Il parlait alors d’Arsène Lupin, mais ses propos s’appliqueraient de la même façon à Sherlock Holmes : dés les premières nouvelles le mettant en scène, ce personnage s’imposa comme un archétype.
Prompts à reconnaître où résidait le succès, de nombreux confrères de Conan Doyle se mirent à mettre en scène des détectives privés, généralement accompagnés de leur fidèle acolyte et commentateur.
C’est ainsi que naquirent au fil des années des figures aussi pittoresques que celles d’un enquêteur docteur en médecine (Dr Thorndyke par R. Austin Freeman), aveugle (Max Carados par Ernest Bramah), pur intellectuel (La Machine à penser, par Jacques Futrelle), paire du royaume (Lord Peter Winsey par Dorothy L. Sayers), petit fonctionnaire (Martin Hewitt par Arthur Morrison), cambrioleur (Raffles par E.W. Hornung, le propre beau-frère de Conan Doyle), obèse (Nero Wolfe l’homme aux orchidée, par Rex Stout), Français (Eugène Valmont par Robert Barr) ou Belge (Hercule Poirot par Agatha Christie)… et je ne cite ici que les plus fameux !
Plus étonnant, et encore plus éloquent quant à la force de cette création littéraire, fut le fait que des pastiches et des parodies naquirent aussitôt. Les deux hommages rédigés par James Barrie, le célèbre dramaturge et auteur de Peter Pan, étaient de nature amicale et figurent toujours en bonne place, aujourd’hui, parmi les meilleurs pastiches d’Holmes (il faut lire l’hilarante « Affaire des deux collaborateurs »). Mark Twain, dans son roman Plus fort que Sherlock Holmes, avait des intentions ironiques mais respectait relativement le personnage.
Bien d’autres emprunts, cependant, ne visaient alors que le commerce pur et simple : des entrepreneurs allemands s’emparèrent de Sherlock holmes et lui firent donner de nombreuses nouvelles aventures, hâtivement bâclées entre Dresde et Berlin par des tâcherons anonymes (Yves varende s’attache aujourd’hui a faire redécouvrir ces œuvres étranges — en les reconstruisant et les réécrivant de manière à obtenir des textes de bonne tenue : voir ses recueils chez Lefrancq et Fleuve Noir). Passant de mains en mains, inspirant d’autres exploiteurs, croisant des traductions de fascicules américains et les aventures de Raffles, ces Sherlock Holmes apocryphes se transformèrent de maint manières à travers l’Europe : des fascicules naquirent portant les noms de Détective de renommée mondiale, Harry Taxon, Harry Dickson, Lord Lister, Sexton Blake, Nick Carter, Miss Boston, etc.
Parallèlement à cette exploitation cynique, un nouveau phénomène vit peu à peu le jour : les « fans » de Sherlock Holmes.
Considéré comme un « canon » quasi sacré, les textes de Sir Arthur Conan Doyle firent l’objet d’études mi-sérieuses mi-amusées, où leurs auteurs s’interrogeaient sur la date de la naissance d’Holmes, le nombre de mariages de Watson, la nature et l’emplacement de la blessure de celui-ci, le décès d’Irène Adler ou, surtout — le hiatus entre la mort présumée d’Holmes aux Chutes de Reichenbach (in « L’ultime affaire », nouvelle publiée en décembre 1893 et située par les commentateurs au printemps 1891) et sa soudaine réapparition dans « La maison vide » (nouvelle publiée en septembre 1903, située par les commentateurs en avril 1894).
De l’étude au pastiche, il n’y avait qu’un pas… De nouvelles affaires de Sherlock Holmes furent rédigées par des amateurs éclairés, généralement soucieux d’imiter la forme des textes canoniques et de rendre hommage à la création de Conan Doyle. Une remarque du bon docteur Watson, dans « Le problème du pont de Thor », devait particulièrement déclencher les spéculations : des notes et récits sur des affaires de Sherlock Holmes non encore relatées reposeraient dans une malle en fer, déposée dans la filiale de Charing Cross de la banque Cox & Cie. Hé bien ! Il ne restait plus qu’à « redécouvrir » ces notes. Et bien d’autres encore…
Une fois lancé, le phénomène ne s’arrêta plus. Au point que la fiction sherlockienne constitue aujourd’hui presque un sous-genre du roman noir : elle a d’ailleurs son rayon dans les librairies anglo-saxonnes de polar, ses éditeurs spécialisés (Calabash Press, Breese Books, Simon & Pierre, Ian Henry Publications…), ses revues (. On ne compte plus aujourd’hui les romans apocryphes, qu’ils soient le fait d’illustres inconnus ou de grands noms de la littérature policière.