Une courte nouvelle retrouvée dans mon ordi, projet avorté il y a fort longtemps de livre illustré pour les enfants… « L’histoire d’une feuille »
Il était une fois un petit garçon, qui vivait au fond d’un bois, quelque part en Bretagne, pas très loin de l’océan. En tendant un peu l’oreille, on pouvait presque discerner le souffle du ressac. Enfin, le petit garçon n’habitait pas tout à fait au fond du bois, plutôt vers le milieu : là où les arbres sont très hauts et très serrés, dans cette région de la forêt où les adultes ne viennent presque jamais. Ce bois se nommait Goulven et le petit garçon se prénommait Joël.
Creusée au bas d’un grand chêne, la maison de Joël était un abri confortable loin du bruit et des voisins. Ce petit garçon avait choisit de s’installer là pour être tranquille. Joël aimait son confort. Il appréciait par-dessus tout lire tranquillement les derniers potins de la forêt sans être dérangé. Calé dans son fauteuil préféré, Joël profitait de la chaleur de sa maison, tandis qu’à l’extérieur le vent d’automne secouait les branches et que des nuages froids couvraient le ciel.
Joël entendit brusquement frapper à sa porte. Contrarié, il se redressa dans son fauteuil, les sourcils froncés. D’un ton sec, il s’exclama : « Qui vient me déranger ? » Le petit garçon eut beau tendre l’oreille, il n’entendit pas d’autre réponse que le bruit du vent qui soufflait au dehors.
Intrigué, Joël alla ouvrir la porte. Il n’y avait personne. Se demandant qui était venu frapper chez lui pour lui faire une farce, le petit garçon fit quelques pas sur le chemin. Un coup de vent plus fort que les autres le bouscula et claqua violemment la porte derrière lui ! Joël vit alors le tour qu’on lui avait joué. Quelle horreur : on avait salie la belle peinture neuve de sa porte ! Une vilaine feuille morte y était maintenant collée, toute baveuse…
Outré, Joël décida d’aller s’expliquer avec ses voisins. Quelqu’un devait forcément avoir vu passer le dégoûtant qui lui avait joué ce méchant tour ! Saisissant son parapluie et n’oubliant pas de mettre une écharpe, le petit garçon partit trouver le coupable. Dans sa juste colère, il marchait à grands pas.
Joël interrogea d’abord le colonel du Colvert. Cet important personnage avait la charge de l’instruction des jeunes canards (« Une, deux, une, deux, plus réguliers, les coups de palmes ! »), mais il accepta néanmoins d’interrompre un instant les manœuvres pour répondre à son voisin. « Je dirige une école de natation, moi, pas une école de botanique ! Je ne m’occupe pas des feuilles d’arbre, mon jeune monsieur ! » s’exclama-t-il.
Joël alla ensuite voir le professeur Hérisson. Cet animal érudit, qui logeait sous un buisson d’hortensias, fut très surpris d’apprendre que son voisin avait fait tout le chemin à pied depuis chez lui. « Vous avez marché ? Oh, moi je ne fais jamais de sport, c’est bien trop dangereux ! »
À la question du garçon, le professeur Hérisson répondit distraitement que « De toute manière, les seules feuilles qui m’intéressent sont celles des livres — Cataplasme, quel mot intéressant, quel sens lui donne donc le dictionnaire ? » fit-il en se replongeant dans sa lecture, ayant déjà oublié la présence de Joël.
La troisième personne que Joël alla questionner fut la Belette. Quand il l’interrogea sur l’identité du vandale qui avait souillé sa porte, cet élégant animal n’eut qu’un vague haussement d’épaules. « Mais voyons, cher, comment voulez-vous que je sââche ? Dites-moi, comment trouvez-vous ma nouvelle coiffure ? N’est-elle pas absolument rââ-vissante, moi j’adoore. »
Joël se rendit également chez la Taupe. Émergeant de son dernier tunnel, cet ingénieur acharné reprit son souffle pour répondre à son jeune voisin. « Non, je n’ai rien vu, je travaille à la mine continuellement ! Moi, je ne suis pas du genre à m’occuper des affaires des autres. Je bosse. Ne restez pas sur le chantier, vous allez me gêner. »
Joël interpella enfin une belle dame Mouette, mais celle-ci ne s’arrêta même pas pour lui répondre. Elle lui cria simplement en passant « Je suis très pressée, vous savez, moi je dois faire mes courses, je n’ai pas encore trouvé assez d’escargots pour le repas ! » Et le grand oiseau fila sans plus se préoccuper du garçon qui voulait lui parler.
Joël rentra chez lui à la fin de la journée, n’ayant rien appris du tout sur ce qui l’intéressait. Il était fort déçu par ses voisins, les traitait d’égoïstes parce qu’ils n’avaient pas voulu l’aider dans ses recherches. « C’est un monde ! Personne n’a rien vu ! Ils sont tous beaucoup trop occupés à leurs petites affaires pour s’intéresser aux autres ! »
Horreur ! Quand il ouvrit la porte de sa chère maison, Joël découvrit un spectacle de dévastation ! Tous les meubles étaient par terre, le tapis avait été roulé en boule, les rideaux battaient follement contre les vitres, les journaux volaient au milieu de la pièce, les pots tombés déversaient leur contenu sur l’horloge renversée…
Une voix douce s’éleva dans le tumulte de la maison : « Pardonne-moi, c’est moi qui avait collé une feuille morte sur ta porte. J’avais tellement envie de rentrer, ça avait l’air si confortable chez toi. » Ne voyant pas qui parlait, le petit garçon demanda d’un ton un peu inquiet : « Mais, qui es-tu ? »
« Je suis le vent d’automne ! Je m’ennuyais tellement, tout seul dehors à souffler dans les branches ! Mais maintenant je suis resté chez toi toute la journée et je sais que ce n’est pas une vie pour moi ! Je commence déjà à sentir le renfermé, j’ai besoin de la liberté et des grands espaces ! S’il te plaît, libère-moi… »
Joël laissa sortir son étrange invité. Il resta un moment sur le pas de sa porte, rêveur, regardant au dehors le vent d’automne, à nouveau libre, s’éloigner dans un froissement de branches et un vol de feuilles rousses.