Fourbu ce soir, je ne vais pas sortir pour ma promenade vespérale et presque quotidienne. Mon grand-père tourangeau nommait cela « faire le tour de la maison du pâté », ces balades rituelles et d’une circonférence relativement réduite. Éveillant de grandes transparences, les cloches viennent de « sonner beau », cela c’était mon arrière-grand-mère berrichonne qui le disait, et cependant l’envie de déambuler ne me gagne pas ce soir tant le ciel se lisse de trop de bleu, presque ennuyeux en dépit de la qualité de la lumière. Je l’ai écrit déjà, le ciel bordelais a cette qualité d’immensité qui me séduit profondément : le plus souvent, dans mes flâneries, le spectacle de la voûte céleste me captive tout autant que celui des décors urbains. C’est qu’ici, le ciel ne demeure jamais longtemps contenu par les façades, au premier boulevard, à la moindre perspective, une inclinaison de toit ou une vague dénivellation : aussitôt il se déploie, qui bien souvent semble la voile nous emportant vers la pleine mer. Quant au périmètre réduit de ces marches de fin de journée, eh bien qu’importe, car les yeux n’embrassent jamais assez. L’habitude même érode la vue et soudain, je m’étonne de ce qu’à côté de l’opticien un bouillonnement de fleurs d’un rose pâle et d’un blanc cassé s’harmonisent si bien, comment n’ai-je pas vu cela plus tôt ? Ou rue de Bègles, le déhanché prononcé d’une cheminée, que ne révèle que l’éclat du jour à cet instant ; ou cette verrière, à l’angle ; l’arrondi d’une fenêtre inattendue ; le feu intérieur d’une façade plane. Les objets ne cessent de changer et savent me surprendre régulièrement, alors que je croirais avoir tellement « stabilisé » mon environnement qu’il pourrait en devenir monotone. Lassitude ce soir, et peu à voir là-haut, mais heureusement notre proximité océanique garantie en général une météorologie capricieuse, de grands paysages de nuages, tellement plus intéressants que ce grand bleu bête qui m’ennuierait vite.