Jean-Christophe Menu vient de publier un livre que j’aurai rêvé de faire, dans sa nouvelle incarnation éditoriale de l’Apocalypse. Un recueil des Lundis de Delfeil de Ton. Non que les Moutons électriques puissent aller sur ce terrain-là, mais dans l’absolu, je rêvais depuis longtemps d’un tel recueil — Menu l’a fait, merci à lui.
Quand j’étais ado, mon jeune oncle entreposais dans le grenier de mes parents des tonnes de bouquins à lui, dont il n’avait plus que faire. Le contenu de ces cartons reflétait une curiosité formidablement hétéroclite, ça allait du freudisme à la guerre sauce Sven Hassel (qui vient juste de passer l’arme à gauche, tiens). Et en parlant de gauche, un jour je tombais sur un 10-18 à la couverture grimaçante (par Topor) : Palomar et Zigomar tirent dans le tas, par Delfeil de Ton. Je ne sais ce qui me conduisit à choisir un tel livre, mais cette lecture me séduisit énormément — ce fut sans doute ma première approche d’une pensée de gauche (cet oncle sera sans doute fort surpris d’apprendre qu’ainsi il initia mes penchants politiques). Cette plume caustique et critique, les thèmes sociaux et politiques abordés, la fibre idéaliste sous-jacente, tout ceci toucha quelques cordes sensibles dans mon moi adolescent. Par chance, la bibliothèque que je fréquentais à Cergy-Pontoise était tenue par des hippies, sans doute pas tellement de droite, et je trouvais dans leur fonds d’autres volumes de cette réédition des chronique de DDT provenant de Charlie Hebdo. Et puis je lus, non pas Charlie Hebdo, mais Charlie Mensuel, et là le choc : Gébé, en particulier. « Tout s’allume ». Et un peu plus tard, au centre culturel qui avait repris ce fonds, je découvris la bédé plus ou moins engagée : les histoires de banlieue de Caza, tout Gébé, Les Phalanges de l’ordre noir de Bilal & Christin… Et je me mis à lire la collection des La Gueule ouverte, les plus récents Pilote et Charlie, Métal Hurlant bien sûr… Puis un prof de lettres me fit découvrir la SF d’alors, la « spéculative fiction », Brunner, Jeury, Spinrad…Il arrivait que je discute de politique avec mes copains, mais c’était toujours pour arriver au constat qu’eux trouvaient tout naturel les choix de leurs parents (conseillers municipaux de droite, pour la plupart), tandis que moi je m’interrogeais, détestais le catéchisme, avais inventé tout jeune un terme péjoratif et méprisant pour les militaires parce que « bidasses » était trop gentil (dans ma tête, j’utilise encore ce mot de « miloches ») ; oh je n’étais pas un jeune rebelle, je me posais des questions, c’est tout… J’avais quelques raisons pour cela : le père de Greg avait reçu chez lui le ministre de l’Intérieur, ce Poniatowski dont la presse que je lisais disait qu’il était un atroce facho ; un jour que j’avais rendu visite à une jolie voisine son frère m’avait ouvert la porte et j’avais réaiisé qu’il était encore plus beau, car non seulement il avait la grâce de sa sœur mais « en plus » c’était un garçon ; dans ma tête tout cela se mêlait, les questions écologiques, l’architecture et l’urbanisme (je n’étais pas en ville nouvelle pour rien), les désirs sexuels non reconnus par la société (j’avais même lu dans un numéro de La Vie, chez les parents cathos d’un ami, un papier sur le suicide chez les jeunes homosexuels et ça m’avait gravement remué — une question toujours atrocement d’actualité d’ailleurs)…
Enfin bref, Menu publie DDT et c’est bien. Ayant revu mon copain Bernard Joubert, il y a quelques mois, et comme il me disait être devenu ami avec Defeil de Ton, je lui disais mon admiration pour ce chroniqueur et mon rêve que l’on publie tout cela. Menu n’a pas repris la période Charlie Hebdo, déjà couverte par les vieux 10-18, mais plonge pour ce tome 1 dans les années 1975-1977 du Nouvel Obs. Et c’est revigorant.