J’avais évoqué l’étrange sorte d’impression de dissociation, de décalage, que je ressentais dans les premiers mois de mon installation à Bordeaux. Eh bien c’est fini, maintenant mon réel et le sentiment que je m’en fais semblent bien réconciliés, je marche dans les rues blondes et j’y suis chez moi, c’est ma normalité, mon environnement. La réalité s’est stabilisée. Non que je sois blasé, et je doute de jamais l’être réellement — après 28 années dans une ville que je n’ai jamais aimé, où au mieux j’admirais sans me sentir chez moi, et envers laquelle le plus souvent je ressentais indifférence ou rejet du moche, me retrouver en terre aimée, en ville de choix plutôt que de hasard, ça se savoure et s’apprécie sur le long terme. À Lyon je me suis toujours senti quelque part un peu en situation d’exil, pas dans l’inconfort (sauf les deux dernières années) mais dans l’ailleurs, un petit peu comme le provincial qui a une bonne raison d’être à Paris. Alors ici, enfin, lorsque je sors je ne suis plus dans l’état de jubilation avancée, mais toujours avec une douce excitation, une satisfaction longue et calme.