#6057

Il y avait jusqu’à peu deux silhouettes familières dans les rues de mon quartier, deux figurants aux allures de Laurel et Hardy arpentant les artères sans jamais faire la manche, marchant et prenant le bus, montant et descendant, tous les jours, toute la journée. Laurel, un petit bonhomme voûté au nez pointu sous sa casquette, ne causait pas, laissant parler pour deux le gaillard Hardy, yeux cernés de cardiaque sous une touffe de cheveux blancs jaunâtres, d’une voix roulante et peu compréhensible dans son sabir d’espagnol et de français. Je suppose que Hardy est mort le premier, comme toujours, laissant Laurel poursuivre seul cette curieuse existence ambulante. Il cause maintenant, un peu, et à un arrêt de bus l’autre fois m’a demandé si j’étais écrivain ou éditeur, se souvenant d’un bref échange que j’avais eu avec son défunt camarade – pour simplifier j’ai revendiqué le métier d’éditeur. Non loin un monsieur du type vieil intello de province leva un regard intéressé en déclarant être écrivain – « Vous publiez quoi ? » m’interroge alors l’homme. Science-fiction et fantasy fais-je en sachant que d’ordinaire cela suffit à refroidir les adeptes des mémoires rurales. « Ah, moi ce sont les voyages mais il est difficile de trouver un éditeur. » Je n’ai pu m’empêcher de lui dire qu’hélas il y a plus de gens qui veulent écrire que de gens qui veulent lire… « Et beaucoup plus d’écrivains que d’éditeurs », fit-il philosophe comme le bus arrivait. J’ai songé qu’avec la marée montante de l’auto-édition ce n’était plus exactement l’équation malheureusement.

#6048

Marchant avec un ami, vendredi soir, j’ai soudain remarqué le silence qui planait sur le quartier et me suis mis à chuchoter pour ne pas le briser. C’est avec la pluie et la lumière du vaste ciel l’un des charmes du Bordeaux que j’apprécie, cette capacité au silence, au calme en pleine concentration urbaine. Et approchant de la voie ferrée, nous nous arrêtâmes un instant pour écouter le chant des grillons dans le pierré parsemé des derniers coquelicots.

#6028

Invisible, un esclandre de grues est passé ce matin dans le ciel cendré. Au-dessus de la place de la Bourse, une déchirure de nuées blanches érige des Alpes inconnues. Balade du samedi : d’un pont à l’autre avec crochets pour pèlerinage au siège de la société familiale de mon parrain et pour le jardin public, où je nourris un canard de quelques bribes de mon pain gascon à l’abricot. Passe un autre vol de grues, dans le bref moment d’azur des Chartrons.

#6014

Été me promener dans la douceur retrouvée du soir, séduit par les perspectives lumineuses d’un crépuscule tout en voiles mauves, en nuages flambants et en étincelles de lampadaires comme des festons oubliés des fêtes. Au bord de l’église tintaient les chocs d’un jeu de pétanque. Sur la voie ferrée gronda un convoi, dont le conducteur ponctua l’entrée en gare de quelques coups de corne.