Au mois de mai prochain, l’énorme encyclopédie Panorama illustré de la fantasy & du merveilleux va être rééditée au format numérique, en trois fichiers. Petit extrait pour le plaisir…
La littérature n’a pas attendu l’ère des séries télé ni l’âge des méga-séries de fantasy pour inscrire dans son corpus le principe de la sérialité et des tomes aussi épais qu’à suivre. Il y a même longtemps que c’est devenu une constituante de la littérature, au moins dans sa version plus ou moins populaire.
Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas ou la Comédie humaine d’Honoré de Balzac sont de ces célèbres fleuves de mots qui irriguent notre imaginaire depuis un siècle ou deux. Grandes sagas historiques ou immenses cycles familiaux, les « Rois maudits » de Maurice Druon, « Fortune de France » de Robert Merle, les « Jalna » de Mazo de la Roche ou les « Thibault » de Roger Martin du Gard, il y a beau temps que nos rayonnages croulent sur l’exploration systématique d’une période ou de plusieurs générations.
Il est pourtant des voix qui s’élèvent pour s’étonner ou pour se plaindre de la multiplication des volumes, et de leur épaisseur titanesque, dans le domaine de la fantasy récente. Nous avons déjà vu comment le poids particulier du Seigneur des Anneaux sur la création de la fantasy en genre autonome a tout d’abord orienté les structures narratives vers la forme de la trilogie. Mais trois tomes, de nos jours, c’est bien peu ! Le phénomène mondial qu’était Harry Potter de J. K. Rowling avait déjà prouvé que le lectorat, notamment la jeunesse, n’a pas peur des gros pavés, contrairement à ce que nous répétaient nombre de prescripteurs. Les chiffres de vente des quinze volumes de la Roue du temps de Robert Jordan le prouvaient également, par exemple ; et cet autre phénomène mondial qu’est maintenant Le Trône de fer de G. R. R. Martin n’est pas sans accentuer la pression que les auteurs peuvent avoir pour produire des séries longues – ou plus simplement, sur la manière dont ils conçoivent une fiction et dont ils peuvent avoir envie de la développer.
Faut-il pour autant considérer que le règne des « méga-romans » (1) constitue une tyrannie, comme l’a affirmé Damien Walter ? (2) Dans son article, le critique désignait (non sans raison) les pesants efforts de Terry Goodkind du terme péjoratif d’origine yiddish schlock (médiocre, minable), en exemple de ce qui bouche les artères de la fantasy. Le problème avec le méga-roman, selon lui, est double : primo, seul un auteur au sommet de son art peut avoir la capacité et le souffle de mener à bien une telle œuvre (prendre un débutant ou un nouvelliste récompensé par des prix et le pousser commercialement à fournir un méga-roman peut conduire à lui briser littérairement les reins) ; et secundo, afin de préserver la santé du genre, il faut que celui-ci continue à proposer des histoires de tous les types, des romans longs comme des romans courts et des nouvelles (ne concentrer le marché que sur les méga-romans ne peut que l’appauvrir).
Lui répondant, sa collègue Natasha Pulley nia que c’est la force du marché qui pousse les auteurs vers le méga-roman, mais la logique interne de leur création. « Une high fantasy à la George RR Martin repose sur la construction de monde. Lorsqu’il y a réellement tout un monde à construire, et pas seulement une période historique ou un pays particulier, ce world-building ne prend pas simplement quelques paragraphes dans une nouvelle, il prend des chapitres ». Et d’ajouter qu’avec l’enseignement actuel des ateliers d’écriture, qui poussent au show don’t tell, c’est-à-dire à la description détaillée par l’exemple et au « dépliage » de tous les éléments d’une fiction, la littérature de fantasy a trouvé selon elle sa véritable dimension, celle des méga-romans.
La high fantasy trouve presque toute son origine dans les contes de fées ; c’est des contes de fées que proviennent ses thématiques, ses décors, ses motifs narratifs principaux. Mais ce qui l’en diffère est l’attention au développement de ce décor et de son fonctionnement : la high fantasy a des paysages, une géographie, une géo-politique, une histoire. La high fantasy construit des mondes… et ça prend de la place !
(1) Un terme récemment forgé par le romancier de science-fiction Eric Flint sur son blog. On parlait auparavant de BCF (Big Commercial Fantasy).
(2) « Fantasy must shake off the tyranny of the mega-novel », in The Guardian, 15 mai 2015.
(3) « Fantasy cannot build its imaginary worlds in short fiction », in The Guardian, 20 mai 2015.