Fragments de voyage
Départ sous une fine bruine, les forêts de sapins se voilent d’un poudroiement blanchâtre en vallons indistincts, leurs sentiers de sable luisant sous un ciel gris qui frôle le sol. Les masses rousses des fougères froissent les sous-bois, illuminées seulement par l’éclat vert de quelques prairies.
J’ai beau apprécier le brutalisme, je ne parviens pas à aimer le béton de la gare Montparnasse.
Voyage de banlieue à banlieue : from Malakoff to Luton. Puis « séminaire nomade » avec les gars, dans un train Virgin remontant dans le cœur industriel de l’Angleterre jusqu’au très posh Harrogate. Ce fut une première session longue mais sérieuse et certainement fructueuse.
Étrange pays où un bistrot se nomme le « gros blaireau », un autre « la limace et la laitue » et une chaîne de magasins de fringues « grosse tronche ».
Nouvelle journée de brainstorming et planifications et rédaction de pitch etc. Le lendemain matin, Melchior : « j’ai eu une idée cette nuit, m’est avis que ça se discute ». Days are not enough…
Premier contact un rien traumatisant avec la convention anglaise : des septuagénaires titubant avec cannes, béquilles et panse pendante, le tout dans la forte odeur de bière imbibant la moquette de l’entrée du palace.
Deuxième contact plus plaisant, quoique Melchior ait manqué de marcher sur Jim Burns dans la art room ; sommes en particulier allé assister a une conf de Kim Stanley Robinson sur des cailloux, avec projection de ses diapos.
Troisième tour à la convention, entre deux travaux ovins, avec une longue et intéressante conf de Nnedi Okorafor – seulement curieuse en ce qu’elle parla finalement très peu du contenu même de ses romans. Un tour dans la dealer’s room, où l’absence de loi sur le prix unique du livre fit que mes dépenses s’avérèrent somme toutes fort raisonnables, chacun cassant ses propres prix.
Pluie et grisaille sur la jolie petite ville de Harrogate, toute parée de pierre brune et noire rappelant celle d’Edimbourg. Very pretty and very posh – au point que les pubs y sont rares. La convention se loge dans un hôtel si immense que l’on croirait un château, red and brooding over a park, gothique à souhait, décor grandiose pour quelque film d’horreur.
Dimanche de… J’allais écrire « repos » mais ce fut au contraire bien plus fatiguant que tout le travail abattu les jours et soirs précédents : une promenade sur la coulée verte de Nidderdale, une « greenway » serpentant dans la campagne du Yorkshire sur le tracé d’une voie ferrée close en 1956. Environ 15 km aller-retour à pas ferme et au milieu de ce que l’un de mes compagnons décrivit initialement comme des ronces et des branches crochues, mais ce devint vite joli et champêtre — nous vîmes lapins, perdrix et écureuils et entendîmes pic-vert et corbeaux, dans un doux paysage de champs et de bois, jusqu’au très joli village de Riplay. Amples maisons de pierre grise serrées autour d’une petite église et d’un château où une tea room accueillit nos corps fourbus et nos estomacs vides. De retour à Harrogate, le même compagnon insista pour que l’on teste les scones et les cheesecakes de chez Bettys, la grande et fameuse tea room des lieux.
Dernier contact avec la convention, et une conf qui m’a enchanté, John Clute, Christopher Priest et Kim Stanley Robinson parlant du cœur même de ce qui se trouve à l’origine de ma passion, à savoir les mouvements de la New Wave et de la spéculative fiction. Trois grands messieurs, brillants, l’expérience rare d’être en accord avec chaque mot, de savourer chaque référence.
Dernier jour en Yorkshire : où nos héros, ayant vaillamment bravée l’averse drue de neige sibérienne dans l’idée de prendre un train pour York, firent hélas demi-tour mouillés et transis. De retour à l’écurie, ils s’attelèrent derechef aux travaux préliminaires à leur nouveau label littéraire secret du futur.
Retour, 24h de périple : à Harrogate, levé à 6h30, train pour Londres annulé pour cause d’inondations, allons à York en prendre un autre, en retard, à Londres prenons leur nouveau RER (Thameslink) jusqu’à Gatwick, puis prenons le monorail, puis un avion qui part avec près d’une heure de retard, à Roissy pas de trains bien entendu mais un RER en service limité qui se traîne lentement jusqu’à Paris Nord, de là je rejoins la gare de Bercy pour prendre un car de nuit destination Bordeaux, arrivée à 5h, couché vers 6h 30. 24h chrono.