Effet peut-être des violentes averses de cette nuit, j’ai rêvé de Venise. Je n’ai pourtant séjourné dans cette ville que trois jours, et encore n’y ai-je pas logé, l’hôtel se trouvait sur une plage extérieure à la lagune. Pourtant, cette ville s’avéra bien plus marquante que sa carte postale, et je compris pourquoi tant d’imaginaire s’y attachait. Gracq y voyait « une cité à l’ancre au milieu des mâts d’une flotte coulée », Jaccottet traduisit la Mort à Venise de Mann, Visconti réinventa celle-ci, la sombre silhouette de Baron Corvo, j’avais en tête des brassées d’images et pourtant s’en furent d’autres qui naquirent — l’arrivée du train à fleur d’eau sur la lagune, en droite ligne dans le citron acide et brumeux du jour naissant ; le marché des pêcheurs dans un tournant à deux pas de la foule des touristes ; le chemin derrière les Offices ; l’ancien dépôt d’armes au bout des quais ; Venise ne manque guère de recoins que l’on puisse s’approprier, et d’autant d’images saisissantes. Je ne sais si j’aurai l’occasion d’y revenir mais je charrie encore le plein ravissement de ce séjour, dans un froid glaçant qui figeait le rosé des façades sous le bleu intense du ciel. Les canaux d’un vert huileux, les taches de soleil dansant devant la porte du musée Guggenheim, le froid des arches de brique, les cageots de légumes dans une gondole, les mouettes hochant du bec sur les piliers noircis… [voir notes de février 2008]