Contemplant ce matin mon jardinet sous le morne frémissement gris d’une averse, j’ai pensé au mot « fagne ». Un joli mot que l’on n’utilise plus guère je suppose, mais à force de tant d’eau, de tant de pluie, peut-être la parcelle de mauvaises herbes va-t-elle finir par se faire fagne ? « Parcelle » est bien le terme, en tout cas : après une large et longue terrasse de pierre, sous le haut mur ne reste qu’un espace de quoi ? Deux mètres de profondeur, à peine plus, où ne pousse encore que du trèfle et un maigrelet rosier. J’ai bien l’intention d’aménager tout cela, et maintenant que l’intérieur de la maison est presque terminé (à part le bureau, ne manque plus qu’une bibliothèque et à installer la chambre d’été) l’envie m’en démange, mais ça devra attendre des jours plus cléments. Ce matin, me voyant sortir par la porte-fenêtre un énorme carton, les chattes ont vaguement réalisé qu’il y avait un dehors.
Archives de l’auteur : A.-F. Ruaud
#2431
Penché tout à l’heure sur l’âtre, essayant d’allumer une petite flambée afin de chasser un peu l’humidité de l’air, j’entendis la ville. Dans la maison, on ne la perçoit guère, tout au plus un grondement ferroviaire, parfois, le soir alors que dans mon lit, sous le toit, je bouquine encore avant d’éteindre. Mais la cheminée, elle, trace un chemin vertical directement vers les bruits de la ville. Le chuintement d’une voiture passant sur la chaussée mouillée, la sirène d’une ambulance, le cloc-cloc-cloc d’un train, un rire de femme, un aboiement, un tintement. Assourdis, flottants. Ainsi par le conduit de la cheminée, la maison laisse-t-elle pénétrer juste une mince rumeur urbaine, inaudible si je relève la tête.
#2430
Eh bien voilà, ça n’a pas manqué : suite à ces deux jours de réunions parisiennes, fièvre cette nuit, mal de gorge, toux et barre de plomb en guise de sinus… Je crois que Paris n’est réellement pas bon pour ma santé… À part ça, le trajet en « TGV » Bordeaux-Paris est diantrement long, vivement qu’il s’agisse réellement d’un trajet TGV. Et en termes de nouvelles habitudes à acquérir, le labyrinthe de béton de la gare Montparnasse est assez stupéfiant. Ayant plutôt mes habitudes aux alentours de Bastille et Charonne (donc pas très loin de la Gare de Lyon), là je suis d’ailleurs assez perdant, c’est sûr.
Au chapitre des premières fois, donc, le retour à Bordeaux depuis Paris. Arriver dans cette vaste gare, sortir sur le long parvis ponctué de griffes insectoïdes géantes et lumineuses, en lieu et place du chaos familier de la Part-Dieu et de son état d’encombrement et de quasi-ruine. Puis remonter vers chez moi, ça m’a semblé un peu plus long de nuit que ça ne l’est de jour. Chez moi, eh bien oui : première fois que j’ouvre ma porte en revenant d’un déplacement. Curieuse impression de décalage, je ne suis pas encore réellement habitué à vivre ici, dans cette grande demeure, si confortable, où je respire si bien. Reprise du travail aujourd’hui sur les chapeaux de roues, en dépit de la pesanteur de cette fichue crève, et tandis qu’au dehors souffle en violentes rafales une tempête… sous un ciel très bleu. Première journée complète d’activités éditoriales dans la lumière du bureau neuf.
#2429
Avant de m’éclipser pour raison de déménagement, j’avais passé une période assez intense de bouclages d’ouvrages, afin que tout soit prêt et même un petit peu en avance — j’ai donc reçu cette semaine un paquet de premiers exemplaires de livres des Moutons électriques tous beaux tous neufs, et parmi eux deux projets très personnels qui, pour cette raison, me font encore plus particulièrement plaisir que le frisson habituel de la découverte d’un nouveau livre tout frais arrivé de chez l’imprimeur. C’est le cas des Détectives rétro, anthologie sur laquelle je fus bien prêt d’atteindre mon « niveau d’incompétence » tant c’est long et compliqué à mettre en place, une antho. Et c’est celui de Jeunes détectives, les vies, projet s’inscrivant dans le prolongement de la première collection des Moutons, la « Bibliothèque rouge », et dont je rêvais de très longue date. Il ne fut pas non plus aisé à réunir, et semé hélas de quelques abandons de collaborateurs, ce recueil, et si sur les détectives d’antan je fus secondé par ma copine Christine Luce, sur leur version junior c’est mon copain Vivian Amalric qui coordonna vaillamment le bébé que je lui avais refilé. Au sommaire, j’ai eu la joie de voir réunis quelques personnes qui me sont chères : par exemple, mes deux plus vieux amis, mes anciens correspondants Spirou (!), Élisabeth Campos et Philippe Caille, ce dernier qui plus est qui n’a guère l’habitude de publier. Deux grandes amies, aussi, à savoir Christine Luce et Mireille Meyer. Et bien entendu mon vieux complice de la collection, Xavier Mauméjean ; plus quelques autres collaborateurs qui se prêtèrent gentiment au jeu particulier de ce volume.
Le sujet me tenait à cœur : les « jeunes détectives », c’est toute ma jeunesse, que je passai à dévorer des « Bibliothèque verte » et « rose », les Club des Cinq, les Fantômette, les 3 détectives d’Hitchcock, etc. Au fil des années et des braderies, j’ai reconstitué mes collections, lisant ou relisant pas mal de titres, découvrant les Six compagnons de la Croix-Rousse (pas lus durant mon adolescence), relisant Enid Blyton, savourant son rival non traduit Malcom Saville… et ce volume est donc le résultat de toutes ces années de passion pour les enquêteurs en herbe. Je me suis même fait le plaisir de relire les premières BD de Jérôme K. Jérôme Bloche, pour ce volume. Et bien qu’il soit donc achevé, publié, je continue à errer sur ces chemins-là : ayant construit dans ma nouvelle chambre une petite bibliothèque spécifiquement pour ces livres verts, roses ou rouge & or, j’ai continué à relire des Fantômette et y trouve un grand plaisir — passé les premiers, assez rudimentaires, la verve du regretté Georges Chaulet m’amuse toujours autant, trésor d’ingénuité et de renouvellement, d’inventions verbales et de situations gentiment cocasses. Je ne retombe pas en enfance : je ne l’ai jamais réellement quittée, je crois.
#2428
Après ces trois semaines intenses de déménagement/réaménagement, je me sens ultra raplapla, un peu douloureux, en tout cas particulièrement las. Tellement eu de choses à gérer, à prévoir, à organiser, puis depuis mon arrivée, l’envie taraudante d’être installé, de tout poser, de tout déballer… Et de fait, je n’ai pas encore pris de recul. Je suis heureux de mon nouveau logis, aucun doute là-dessus, mais je ne réalise sans doute pas encore pleinement que je me trouve là, dans cette ville dont je rêvais depuis si longtemps. Il faut dire qu’avec le temps qu’il fait, de la pluie-pluie-pluie à peine entrecoupée de bourrasques ou d’averses plus fortes encore, que je n’ai pas beaucoup eu l’occasion de saisir quelques coins de ciel bleu — un peu, tout de même — non plus que d’aller flâner en ville. Amusant cependant comme à chacune de mes sorties j’ai la sensation d’écarquiller les yeux, de tout observer, et la tentation de me dire « Oh c’est bô, oh c’est bô ». Enfin, cette période d’installation touche déjà à sa fin, j’ai répondu à presque tous les mails en retard (une montagne), traité presque toutes les commandes (les rapports avec la Poste sont toujours aussi ubuesques), et recommencé un peu à bosser. La semaine prochaine, je serais beaucoup (trop) à Paris, avant de replonger plus calmement dans mon environnement bordelais et dans le travail éditorial au quotidien.