#2422

Dans le bureau s’élève soudain une voix virile : « I’m Captain James T. Kirk of the USS Enterprise ». La petite chatte vient de marcher sur un vieux porte-clefs, dans un carton… Et c’est qu’il y en a, des cartons, dans le bureau. Une situation qui a mon grand dam devrait hélas durer quelques mois, le temps pour moi de commander, recevoir et monter les bibliothèques nécessaires pour en couvrir les murs. En attendant, cette pièce demeure la seule encore envahie par cette encombrante armée marronnasse. Me voici arrivé à Bordeaux il y a une semaine et un jour, et, au terme d’un combat épuisant, le chaos a reculé presque partout. Heureux est le capitaine, quoique passablement las.

#2421

Tout est à découvrir. Exultante et amusante perspective que la reconstruction d’un quotidien, en d’autres lieux, sous d’autres latitudes. Les premiers jours furent ceux de l’aménagement, déballage, tri, construction de bibliothèques, décisions de rangement et d’organisation. Puis est venu le temps des premières expéditions dans la jungle de pierre blonde, là, dehors : la première fois au supermarché d’à côté, la première fois à se rendre jusqu’au centre ville, la première fois au marché… Les yeux écarquillés, le cœur léger, tout est neuf, nouveau monde, nouveaux repères.

#2420

Après la période des dernières fois, celle des premières fois. Quoique je sois encore bien peu sorti de mon nouveau logis bordelais, occupé que je suis à tenter d’organiser un tantinet le chaos des montagnes de cartons. Et puis, la fatigue pèse lourd, je suis perclus de douleurs et de lassitude physique. Mais le cœur est léger, forcément, très léger, et la tête exaltée, des bulles de plaisir viennent éclater doucement, tout doucement, contre les parois de mes perceptions. Je ne réalise pas encore tout à fait, me trouve encore un peu « bipolaire » entre la charge de mes souvenirs de Lyon et cette soudaine arrivée à Bordeaux. Pour que je m’y fasse, il me faut tout d’abord ranger, aménager, et peu à peu parviendrai-je à « comprendre » que Bordelais je suis — la résultante d’un très, très vieux rêve : j’avais fait mes études à Bordeaux et m’étais toujours promis, vaguement, dans ma tête, qu’un jour j’y reviendrai, que « devenu vieux » je trouverai à vivre dans une échoppe bordelaise traditionnelle (nom des petites maisons basses en pierre, du gascon mal traduit « choppa »). Le genre de promesses que l’on se fait à soi-même et auxquelles on ne croit pas vraiment, juste un souhait… Enfin réalisé.

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Photo © Justin Dingwall.

#2419

J’entends rarement les trains, depuis chez moi, mais tout à l’heure la trompe d’un train a retenti, et maintenant la rumeur d’un convoi me parvient. J’avoue que j’aime bien, peut-être ai-je cela dans l’ADN (un père et un oncle cheminots), allez savoir. Et mon nouveau logis bordelais est assez proche des voies également. Tropisme ferroviaire.

#2418

C’est amusant, cette période des « dernières fois » : tiens, c’est peut-être la dernière fois que je rentre dans cette boulangerie, tiens je ne rachèterai sans doute plus de thé ici… Clac un cordage, clac un autre, les amarres du quotidien sont coupés tranquillement, l’un après l’autre.