Depuis que l’oncle Joe tient sur FB son « café » du matin, il exerce une terrible influence sur moi — déjà trois bouquins acquis rien que par sa faute. Le dernier en date, je ne m’attendais assurément pas à tomber dessus chez un bouquiniste lyonnais, mais pourtant: La Magie à Paris par René Thimmy, aux Éditions de France, 1934. J’aime bien cet éditeur, pour sa délicieuse collection policière (« À ne pas lire la nuit ») et pour quelques autres ouvrages, genre le 1900 de Paul Morand, par exemple, ou Édouard VII et son temps de Maurois, qui firent partie de mes références pour la « Bibliothèque rouge ». Mon exemplaire ne bénéficie pas de la belle illustration de celle de Joseph, je n’ai qu’une sotte couverture en papier jaune. Bref, René Thimmy, donc, dont Joseph m’apprit qu’il s’agissait en fait d’un certain Maurice Magre (1877-1941), occitaniste, poète et passionné d’ésotérisme. C’est bien entendu dans cette dernière catégorie que s’inscrit cette Magie à Paris, très curieux et souvent très amusant portrait de nombre de mages, sectes et phénomènes « mystérieux » du Paris des années trente. Pour tout dire, c’est si étonnant et (pour le mécréant que je suis) si apparemment farfelu, que je l’ai lu comme une sorte de fantasy urbaine fort bien troussée, construite comme un reportage. Il y a quelques années, j’étais tombé amoureux des Voyages au pays des voyantes d’André Salmon, de la même époque, également très amusant mais plus tendre et plus terre-à-terre, alors que René Thimmy/Maurice Magre veut y croire, visiblement.
Archives de l’auteur : A.-F. Ruaud
#2364
Qu’est-ce tu lis dédé dis donc? Eh bien, des trucs qui ne seront pas au goût de tout le monde, je suppose. Pas des « litt de l’im », en tout cas, pour l’instant — quoique j’ai commencé avec gourmandise Les Lames du cardinal de Pierre Pevel, enfin paru en poche. Mais sinon, d’un côté j’ai entamé mes lectures et recherches en vue du troisième Dico féerique, celui sur le règne végétal (serait temps). Avec notamment le délicieux WIldwood de Roger Deakin — le journal d’un vieux passionné de nature, qui s’était rendu célèbre outre-Manche pour sa défense de la nage dans les cours d’eau et étangs un peu partout, et qui ici parle du rapport aux arbres. C’est d’une grande beauté, je suis sous le charme (sans jeu de mot). Et puis je ne sais pourquoi, envie de calme, de profondeur, j’ai eu l’idée de relire La Prose au monde de Merleau-Ponty. Mon ami Olivier, féru de philo, me l’avait fait lire il y a longtemps et j’ai éprouvé le besoin de me replonger dans cette prose incroyablement dense (l’auteur n’a jamais achevé ses brouillons, en fait) mais traversée de fulgurances, de véritables lumières, c’est splendide, tellement intelligent. Tout ça fait du bien.
#2363
Bien bien bien… Le YS Trente ans est chez l’imprimeur, je viens d’accepter le BàT du prochain Fiction, les Zombies ! arrivent lundi matin, l’intégrale Ruritanie est bientôt bouclée, le Jeury aussi, le Thévenin et le Zaccone itou… ça fait tout drôle, d’être à ce point à l’heure… Tout juste si je ne m’imaginerai pas avoir bientôt du temps libre, tiens, ça fait peur. Mais non ouf, j’ai plusieurs bouquins à écrire…
Niveau lecture, voyons voir… J’ai eu envie de relire Wizard of the Pigeons, de Megan Lindholm, un roman de fantasy urbaine que j’avais superlativement apprécié en son temps. Au point d’en avoir alors acheté une édition assez luxueuse — qui ne s’était pas vendu, d’ailleurs, car cet auteur vendait excessivement mal. Un bel hardcover à l’épaisse couverture grise (thème du roman oblige), bord des pages noir, papier gris très épais… vraiment un objet d’exception. Depuis, bien sûr, l’auteur a changé son fusil d’épaule : en ayant assez de ne rien vendre de ses très beaux romans, elle a changé de nom pour l’androgyne « Robin Hobb » et s’est mise à pondre à jet continu, cyniquement, commercialement, de la lavasse à base de lieux communs — enfin, c’est l’impression que j’en avais eu, en essayant de lire les deux premiers, sans goût ni saveur, tellement ennuyeux que je n’ai jamais été plus loin. Ça plait énormément, y compris à des lecteurs respectables et de bon goût, alors je ne sais, sans doute il y a-t-il quelque chose d’intéressant dans cette production, mais l’envie m’en a passé. Quant à ce beau roman de fantasy urbaine, il fut traduit en français chez Mnémos (sur mon conseil, puis-je me vanter), sous le titre Le Dernier magicien.
Ordoncque, je le relus. Et c’est toujours plaisant, belle histoire, belles intuitions, cette ville de Seattle (que je ne cesse de confondre avec les paysages de San Francisco que, eux, je connais) est bien rendue, le sentiment urbain, et la rudesse d’une existence SDF. Pourtant, qu’est-ce qui me manque, me demandai-je? Car pour apprécier cette relecture, je lui ai cependant trouvé un goût de trop peu… En définitive, c’est simple: pionnière dans le domaine de la fantasy urbaine, l’auteur s’est faite dépasser par l’évolution du genre. Et en particulier, selon moi, par ce qu’apporte au niveau stylistique quelqu’un comme Kate Griffin. Là où le cycle du Midnight Mayor pique la langue, entrechoque les descriptions, crépite et fuse, le style de Megan Lindholm/Robin Hobb est d’une terrible platitude : c’est le non-style issu des ateliers d’écriture type Clarion, ce laminage utilitariste de la prose qui fit des ravages outre-Atlantique dans les années 1980, une narration confondant efficacité avec absence d’aspérités. Une littérature à laquelle, pour moi, il manque une dimension.
Et puis j’ai eu envie, ayant relu pour l’YS anthologique un essai sur le sujet, de relire le cycle Titan de John Varley. Je suis donc descendu faire quelques fouilles à la cave, afin d’en extraire un incunable poche jamais retouché depuis sa parution originale. Et vous savez quoi? J’ai la même impression — en pire, je crois : zéro style, Varley n’écrit pas, il rédige. C’est lisse, sans génie, sans effet — une littérature d’ingénieur, propre et bien peigné. Pour le moment, je trouve l’intrigue suffisamment distrayante, amusante, inventive, pour poursuivre cette lecture, mais tout de même, que cette prose aseptique est pauvre, atone… Au point que je n’arrive pas toujours à me construire une image mentale des paysages ; pire même: je me surprend à me dire que cette littérature-là fait moins que le cinéma, ou que la bande dessinée ; elle est si plate qu’elle semble au bord de l’échec narratif: ça manque d’âme.
#2362
Hier matin, j’ai reçu les BàF de Zombies !, le gros essai de mes copains Bétan & Colson. C’est la première fois que l’on réédite l’un des volumes de la « Bibliothèque des miroirs » (enfin, à part le Miyazaki, mais il était quasiment à l’identique) et la première fois, donc, que l’on teste le principe du « remix » d’un de nos bouquins. Pour la « Bibliothèque rouge », c’était différent: Xavier et moi avions complètement réimaginé la collection, et la trilogie Holmes-Lupin-Poirot (dont je suis immensément fier, faut bien le dire) ne consiste pas en des rééditions mais en de complètes nouveautés. Bref, tout ça pour dire que je cogite pas mal en ce moment à ce que doivent être des rééd : il faut que ce soit une fête, il faut saisir à fond l’occasion pas si courante que ça de corriger / augmenter / repenser nos propres livres. À ce titre je pense que Zombies ! va dans le bon sens, car la 4e partie est totalement renouvelée, il y a une 5e partie en plus, un petit cahier couleur en post-scriptum final, et la reliure sera rigide (façon BD). Ça va être un joli pavé. Ah, et puis j’avoue qu’il m’amuse beaucoup d’y avoir introduit Picsou et les Schtroumpfs… Si, si.
Plus largement, repenser nos propres livres, chercher de nouveaux formats et des possibilités plus belles encore de présentation, m’excite beaucoup. Nicolas Le Breton par exemple a bien compris combien une rééd devait être une fête : sa Geste de Lyon va ressortir en intégrale fortement retouchée et augmentée. Raphaël revoit complètement le Miyazaki pour le passer en quadri. Et je cogite sur nos prochains « remix », un en 2014 et l’autre en 2015…. Quant à Fiction, il a également fallu le réinventer, la part graphique semblant finalement en porte-à-faux avec les attentes de beaucoup de lecteurs (dommage), les frais étant trop importants dans l’économie du livre en crise (et les subventions en baisse), tandis que le rédactionnel (articles, entretiens) n’avait pas assez de présence dans la revue, à mon goût (et on en cherche, du rédactionnel !). Ça ne voulait pas dire tout sacrifier aux économies : on a ajouté beaucoup de pages (360 pages au lieu de 306), le papier de couverture (le même que pour le tome 15) coûte une petite fortune… L’un dans l’autre, cette nouvelle formule acquiert une esthétique purement « littéraire », plus dense (format 14×21), genre NRF. C’est ce que je voulais. Et le recul que me procure la mise en page finale me permet de constater qu’une fois de plus, bon sang, quel beau sommaire ça fait. Content par exemple de l’ajout d’une nouvelle de Thomas Burnett Swann (un de mes auteurs fétiches, que les Moutons vont redécouvrir peu à peu), au titre superbe (« Les ailes soudaines »), mais il y a plein des textes de toute beauté là-dedans : Jeffrey Ford, Daryl Gregory, Richard Chwedyk, Jipé Andrevon, Ken Liu… Enfin bref, tout cela est bel et bon. Publier une telle revue m’enchante en permanence.
#2361
Ce que c’est que la mémoire. Je ne sais pourquoi, je croyais que c’était en avril, l’anniversaire de la création de Yellow Submarine. Mais non, c’était bien en mars 1983 que j’ai publié le premier numéro de ce fanzine… Alors, il ne fallait pas perdre de temps, en fait, pour réunir et réaliser le volume spécial 30e anniversaire souhaité par mon camarade Alex Mare. Heureusement, la plupart des auteurs contactés ont répondu immédiatement, avec un enthousiasme qui fait chaud au cœur. Je viens donc de passer une grosse semaine à trimer sur l’OCR, les corrections, la mise en page et tutti quanti. Des travaux d’envergure mais ô combien jubilatoires, quoique par moments un peu troublants : sans céder à la nostalgie, se replonger ainsi dans son propre passé convoque quelques souvenirs et des émotions presque oubliées — je ne suis pas spécialement porté sur le narcissisme et le retour sur soi, mais entre mes travaux d’archivage du blog et cet YS d’anniversaire, je me fais actuellement un curieux « trip » de mémoire.
Enfin, je dois dire que je suis passé d’un sentiment de surprise un peu interloquée et assez prudente (lorsque Alexandre m’a dit qu’il fallait absolument que l’on fête ça — et il avait raison, bien sûr) à un réel enthousiasme, le bonheur de façonner un très beau volume qui approche des 400 pages (et encore, on a été obligés de se limiter). Attention : VPC only, pas de diff librairie (Harmonia Mundi ne pouvant pas gérer les ventes fermes pour le moment, ils ne le feront qu’à partir de cet été hélas). Ça va donc être un « hardcover », sous jaquette couleur (par Lewis Trondheim, trop gentil !), super beau et classe et luxueux et malgré tout pas hypra cher (on a serré le prix à 29 euros port compris).
