#2345

Beaucoup écrit et encore plus, beaucoup, beaucoup lu, ces derniers temps. Ou relu, aussi. Genre un Plodoc et quelques nouvelles de Miyazawa, de toute évidence, et puis le corbeau philosophe de Sébastien Rutés chroniqué plus bas. Mais aussi, la trilogie Leviathan de Westerfield, conseillée par un ami et c’est vrai que c’est bien sympa, très prenant, du steampunk/uchronie pour la jeunesse. Dommage seulement qu’il y ait tant de trous dans la logique interne, et surtout un vraiment énorme. Relu du Neil Gaiman : Neverwhere, bien meilleur que dans mon souvenir — et précurseur de toute la fantasy urbaine anglaise actuelle, ses motifs ne cessent de réapparaître. Et Good Omens, moins bon que dans mon souvenir, mais bien rigolo quand même.

Rattrapé mon retard en Kate Griffin, avec un nouveau tome toujours splendide, électrique et hautement évocateur de la série « Midnight Mayor », The Minority Council. Le style de Kate Griffin ne cesse de m’épater, cette force, cette beauté, et c’est tellement Londres, comme jamais ailleurs la ville vibre dans une oeuvre de fantasy urbaine. Lu aussi son spin-off, très rigolo, Kate Griffin s’y essaye au pratchettisme, avec beaucoup de talent.

Trente crans en dessous, une trilogie par Benedictt Jacka (Taken, Cursed, etc), fantasy urbaine aussi, mais là Londres ne se ressent guère, c’est plaisant mais sans aucune profondeur, écrit vite et lu vite, ambiance série télé pour ados.

Je lis rarement des traduction de l’anglais, mais lu tout de même La Ville enchantée de Margaret Oliphant, traduit et publié par mon camarade Jean-Daniel Brèque. Mystérieux et prenant, en dépit de certaines lenteurs et lourdeurs victoriennes, et une langue ample. Juste avant, j’ai relu mon Anthony Trollope  favori, The Eustache Diamond. Toujours réjouissant. Entre Balzac et Wodehouse — si vous pouvez imaginer ça.

Et puis là je débute Kraken de China Miéville, qui m’a l’air bien amusant, bien tordu. Rien de tel que des calamars géants pour commencer l’année. Hier soir j’ai dévoré une bédé, La Cellule Prométhée par James aux dessins et Patrice Larcenet au scénario et aux couleurs, graphiquement c’est que du bonheur, James atteint des sommets (ah, je comprends qu’il râlait sur la pluie), et l’histoire relève de la catégorie « détectives de l’étrange » donc, forcément, j’ai adoré.

#2344

Faut-il que l’austérité soit terrible, pour que l’Élysée ne puisse pas même payer au président des cours de diction et d’éloquence. Il trébuche sur des mots, sa voix oscille comme celle d’un ado entre le chevrotant et le geignard, il a le souffle trop court. Son prédécesseur ne maîtrisait pas le vocabulaire ni la grammaire, celui-là annone comme un élève au tableau.

Dehors, dans la nuit, depuis la petite place près de chez moi, s’élève la pétarade des feux d’artifice. Un grand vent déporte chaque étincelle vers la droite, comme l’on essuierait d’un revers de manche un comptoir humide.

Bonne année ! Et quelques mots de sagesse de Christopher Fowler sur son propre blog : « And a very Happy New Year to all of you – keep messaging, commenting and adding to one another’s knowledge of life, the world and everything in between. We learn until we die, or we just die. »

#2343

Avez-vous déjà lu du Kenji MIyazawa? Pour moi, c’est une sorte de lecture idéale au sein du calme et du froid ténébreux de cette époque du passage d’un an à l’autre… Miyazawa était un conteur et poète japonais (1896-1933). Instituteur dans la province déshéritée d’Iwaté, en pleine période d’ouverture aux développements venus d’Europe, Miyazawa qui avait une formation de géologue fut marqué à la fois par la croyance bouddhiste et la fascination scientifique, ainsi que tiraillé par ses pulsions homosexuelles. Dans ses poèmes, où il créa un vocabulaire entièrement nouveau (onomatopées, couleurs), comme dans ses contes, s’explore une cosmologie où l’invisible rencontre le visible, où le macrocosme rejoint le microcosme. Miyazawa passait aisément de l’examen des roches à une rêverie cosmique ; il trouvait dans la nécessaire entente entre toutes les branches du vivant la recette à appliquer pour le bonheur universel. Il l’illustra dans des nouvelles d’un merveilleux aux racines folkloriques magnifiées par une poésie toute personnelle. Solitaire, mal intégré à sa société, il mourut à 33 ans en n’ayant publié qu’un petit recueil de contes pour enfants, ainsi que Le Printemps et les Asuras — carnet de croquis poétique plutôt que simple recueil de poèmes. Ses récits aux images à la fois oniriques et étonnamment lucides ont ensuite été réunis, peu à peu. Ils ont souvent été adaptés en films et dessins animés, aussi, et ont été découverts en France grâce au travail de la traductrice Hélène Morita, à partir de la fin des années 1980. Train de nuit dans la Voie lactée, Traversée de la neige, Le Diamant du Bouddha, Les Fruits du ginko et Les Pieds nus de lumière sont autant de plongées dans un monde enchanté. Bon bout d’an, tous.

kenji.hat

#2342

La « Bibliothèque rose » n’a jamais eu la réputation de publier des ouvrages de très bonne qualité, ni même d’en surveiller la qualité d’écriture et d’illustration. Pourtant, par un de ces rares bonheurs de l’édition, une partie des Plodoc de Max Kruse (cinq volumes sur onze) est parvenue jusqu’au lectorat français dans une version soignée. Car il s’agit de romans allemands, publiés en RFA à partir de 1969, traduits par Michèle Kahn (devenue depuis écrivain pour la jeunesse) et publiés par Hachette entre 1974 et 1977.

Le professeur Habakouk Tibatong habitait autrefois dans une petite maison de la ville universitaire de Blablatenstadt, en compagnie de son fils adoptif Tim. Ils s’enfuirent un jour pour l’île Titiwou, lorsque la municipalité décida de replacer Tim dans un foyer plus sérieux. Il faut dire que les expériences du professeur Tibatong (personnage de savant lunatique tout à fait typique d’une certaine imagerie populaire) quant à l’apprentissage de la parole aux animaux n’étaient pas toujours considérées d’un très bon œil à Blablatenstadt : avoir une truie qui parle en guise de gouvernante n’était pas apprécié de tous les bourgeois. Au nombre des habitants de Titiwou peuvent également se compter un varan, un pingouin, un morse (quoi qu’il reste plutôt sur son rocher, au large), un pélican, et… un jeune dinosaure ! Ce dernier, Plodoc (Urmel dans la V.O.), arriva sur l’île sous la forme d’un oeuf resté bloqué dans un morceau d’iceberg, qui avait dérivé jusque là…

Les protagonistes de cet univers pas franchement rationnel mais tout à fait réjouissant sont tous typés de façon marquée, d’une part par leur caractère (la truie est particulièrement amusante, caricature qu’elle est de nombreux humains style concierge ou femme de ménage), d’autre part par leur langage. Car Tibatong n’a pas résolu quelques problèmes liés aux palais de ses amis : le varan met des V partout, le morse sème ses phrases de O, le pingouin chéchaille, la truie ronfle et le pélican a l’accent d’un Italien d’opérette (la traductrice s’est visiblement bien amusée).

En cinq volumes (pour la V.F.), Max Kruse a construit un petit monde gentiment délirant, bourré d’un humour facétieux et aimablement non-conformiste (voir par exemple le roi Zéro). C’est un illustrateur talentueux, Daniel Billon (élève de Jean-Claude Forest et auteur lui-même de quelques bandes dessinées), qui fut chargé d’accompagner ces textes, et il le fit avec exactement le grain de folie qui convenait : son style faussement « relâché », rococo et vaguement rétro, entre Forest et Steadman, collait formidablement à l’imaginaire de Kruse. Écrivain assez prolifique, Max Kruse (né en 1921) est également connu en Allemagne pour des séries historiques et pour la tétralogie In weiten Land der Zeit, retraçant l’évolution de l’humanité.

!Bjfd5ng!mk~$(KGrHqUH-DUEs+3!wPb9BLTztpzHow~~_35