#2332

Lorsque je commande des retirages chez l’imprimeur anglais qui fabrique les hardcovers à tirage limité des Moutons électriques, je dois tout d’abord cliquer sur le bouton « Create a New Order ». À chaque fois, ce concept de « créer un ordre nouveau » me fait un peu froid dans le dos.

#2331

Tandis que la neige blanchit les tuiles lyonnaises, ces deux derniers jours et demi me trouvèrent en train de turbiner en compagnie du sieur Alexandre Mare. Activités fructueuses, qui nous virent grandement avancer le volume de la Bibliothèque rouge sur Paris ; écrire la préface pour les deux volumes urbains ; discuter de l’avenir de Yellow Submarine, le fanzine que j’ai créé en mars 1983 ; et explorer les sommaires passés dudit fanzine, afin d’en sélectionner un bon gros tas d’articles, nouvelles et entretiens, de manière à constituer de la lecture pour Alexandre — en vue de ses choix pour le prochain numéro, le 136, qui célèbrera… le trentième anniversaire d’YS. Je n’en reviens pas, trente ans, c’est dingue. Ensuite, il faudra demander à tout le monde les autorisations, et OCRiser, et mettre en page… mais enfin, c’est déjà une grande première étape de franchie. Plus, l’animal m’interviewa à ce propos. Et lumineuse idée d’Alex, d’écrire à Lewis Trondheim, que j’avais autrefois publié, pour lui quémander une couverture. Adorable, contrairement à la légende qu’il crée autour de lui, Lewis m’a illico répondu par la positive, réponse suivie dans la soirée d’un grand et très beau dessin. Qui va nous faire une jaquette à la fois chaude et sobre, c’est le bonheur.

#2330

Triste de la disparition d’Oscar Niemeyer, à l’orée de ses 105 ans. Un très grand monsieur. Lors d’une visite du Havre, j’avais admiré son « volcan », un centre culturel. Les formes pures et courbes de ses bâtiments me mettent toujours en joie.

#2329

Un p’tit tour à Paris et puis s’en va. Hachette payait le billet, pour le salon de Montreuil, où en compagnie d’Arnaud Cremet et d’Alexandre Honoré nous signâmes moult albums pour le bonheur des petits (les sourires de certains mômes, c’était génial). L’occasion au passage d’aller admirer l’expo sur Franquin à l’Espace Wallonie-Bruxelles, face à Beaubourg. Petite mais tellement belle, tellement intelligente, en dépit de la faute de goût de quelques reproductions. À partir des détails d’un (très beau) dessin que Franquin lui avait donné, Fred Jannin a concocté un fascinant parcours dans l’inspiration du maître — et quel bonheur c’est que de voir ces originaux, plein de choses que je ne connaissais pas, et de coller son nez près du trait, souple, rond, je n’avais jamais scruté ainsi ses coups de pinceau et en suis plus encore admiratif, si c’était possible. Pour moi, Franquin demeure indépassable, indépassé. Entre admiration artistique et goût d’enfance, un attachement ancré profond, intense — avec cette impression quasi nostalgique encore renforcée par la proximité de l’enchevêtrement de tuyaux du Centre Pompidou, autre fascination de ma jeunesse. Réellement, Isabelle Franquin et Fred Jannin font actuellement un travail extrêmement précieux, il faut leur en savoir grée.

Ensuite, ce fut le SOB : le Salon des Ouvrages sur la Bande dessinée, au village St Paul, une suite de belles cours dans le Marais. Le petit milieu des théoriciens et historiens du 9ème art s’y donnait rendez-vous pour la deuxième année, et c’était bien, vraiment très bien. Une très belle table-ronde sur Moebius, en particulier, où un Dionnet enroué mais toujours volubile et un Mézières tendre nous brossèrent un portrait à la fois touchant et sans cacher les défauts de leur ami disparu, expliquant par exemple combien il avait d’ambition, comment il voulait toujours être le meilleur… Revu Harry Morgan, vu pour la première fois « en vrai » Evariste Blanchet et Manuel Hirtz, papoté avec Frémion, fait la connaissance du très sympathique organisateur, Renaud Chavanne, et puis mon plus grand plaisir, revu Philippe Morin, avec qui j’étais copain il y a (ouch) une trentaine d’années et qui n’a guère changé, toujours aussi charmant. Tout cela était bel et bon, mais le lendemain, fatigué par le froid et des insomnies fréquentes, je rentrais chez moi un peu plus tôt que prévu — pour trouver un peu de neige sur Lyon.

#2328

J’avais un peu de retard dans ma lecture des romans de fantasy urbaine de Kate Griffin — et c’est tant mieux, quel bonheur, voici sans doute l’auteur la plus inventive littérairement de tous ceux qui oeuvrent aujourd’hui dans le genre. Son style est imagé, nerveux, plein d’effets de tension et de ruptures, de glissements poétiques et de descriptions serrées, c’est très personnel, très électrique, et j’y retrouve fort bien « mon » Londres, la magie en plus. En plus, contrairement à ses collègues Ben Aaronovitch et Mike Carey, elle commence à entrouvrir le domaine des créatures féeriques (véritablement non humaines) de cette urbanité surnaturelle. Extrait pour le plaisir (The Minority Council) :

« Look hard enough and you could maybe perceive the anomaly of things beneath the surface. When life started moving to the cities, magic came with it, and when the magic started moving, so did all the creatures that lived within it. If you wait until the dead, dead hours of the night, when the only texture on earth is street-lamp glow, you might see the metal of an ornate lamppost part and the grey-skinned city dryads peep out into the darkness from their wiry home. There, above a stone doorway built by men who believed in empire and cricket, the statue of a woman in classical drapes, face turned downwards to mourn an unknown loss and whose stone eyes, which should be sandstone beige, are framed with redness from weeping. And just below the artificial waterfall that glides down black marble into a pool beneath an iron grid, a shadow moves in the water that might be an infant kelpie, its skin the colour of the copper coins, tossed in with a wish, on which it feeds. »