Archives de l’auteur : A.-F. Ruaud
#2306
Salon ce week-end, tout près de Bordeaux : à Gradignan, Lire en poche. Curieux concept que de me faire venir pour signer juste un livre de poche, sans aucun de la vingtaine de mes autres ouvrages parce qu’ils ne sont pas en poche. Mais la libraire était fort sympathique, l’organisation aussi et les lieux ma foi aussi vastes qu’esthétiques — de longues barres en architecture d’inspiration moderniste, posant leurs lignes droites sur les courbes douces d’un vallonnement vert. Le tout ponctué de tentes blanches. Les copains autochtones vinrent me dire bonjour — Queyssi, Trespallé, Marcel —, ce qui brisa fort agréablement le léger ennuie. Passage aussi de gentils lecteurs/étudiants du tout proche IUT Métiers du Livre (celui de Bordeaux, où je fis autrefois mes études). Et une fois encore je me suis promis de revenir habiter à Bordeaux, un jour…
#2305
Fils d’architecte, ancien directeur de vélodrome, homme de presse, Tristan Bernard (1866-1947) est surtout un inclassable touche-à-tout, il va se faire connaître en particulier par ses mots d’esprit et par ses pièces de théâtre, légères et amusantes. Écrire pour le théâtre est toujours très bien vu, en ce début du nouveau siècle, fut-ce pour le boulevard, mais la bonne société fronce du nez devant d’autres types d’écriture, ce que l’on nommera plus tard « littérature populaire » ou « littérature de genre » avec un mépris qui n’ira guère en diminuant. Et cet esprit curieux qu’est Tristan Bernard n’a pas été sans remarquer l’avènement de fictions d’une inspiration nouvelle, outre-Manche, dans la foulée du célèbre détective de Conan Doyle. Ainsi, dès 1905 notre auteur livre un recueil de nouvelles policières, Amants et voleurs. Certains de ses confères, « qui sont des esprits d’habitude, et qui, une fois leur choix établi, tiennent à estimer, à admirer un écrivain pour des raisons immuables » lui reprochent aussitôt d’ainsi faire preuve de si peu de goût. « Comment ? Voilà qu’il ‘fait’ maintenant des romans judiciaires ? Voilà qu’il nous raconte des histoires de cadavres enterrés, d’épaules marquées au poignard, de passages souterrains, de déguisements… Mais est-ce que c’est la vie ? » (préface de René Blum) Mais qu’importe ces forts esprits : Tristan Bernard récidive sans vergogne, avec L’Affaire Larcier (1907) et Secrets d’État (1908). Tristan Bernard continue à s’intéresser au « judiciaire » et livre courant 1911, en feuilleton dans Le Journal, le récit d’une affaire policière fort mouvementée, qu’il camoufle curieusement sous le titre sans doute ironique de Mathilde et ses mitaines. Le roman sera réédité l’année suivante chez Albin-Michel.
Dans le Paris des apaches et des concierges, des vieux fiacres moisis et des taxi-autos, dans les ruelles et dans les cours, la rusée Mathilde et le naïf Firmin, secondés de l’inspecteur Gourgeot qui y risquera sa vie, vont mener une enquête. Tombant d’abord sur le cadavre d’une femme blonde, enterré dans la cave d’un ancien magasin de tôles, puis sur un complot qui semble lier un notable de province, à moins qu’il ne s’agisse de son frère ; un comte assez réputé dans les milieux de la finance ; et une femme trop grande. Qu’a-t-on imprimé en cachette ? Où se trouve l’autre repaire des bandits, et pourquoi ne quittent-ils pas Paris maintenant qu’ils se savent découverts ?
Plaisant et bien mené, ce petit polar oublié brosse avec malice des portraits de son époque, traîne dans les rues et se glisse dans des cours d’usine, lance quelques piques aux puissants de la politique… Tristan Bernard ne reviendra hélas pas à l’étonnante carrière du couple Gourgeot mais, en 1919, donnera encore un roman policier : Le Taxi fantôme. Des feuilles désuètes fleurant bon le roman populaire à énigme, dans toute sa fougue.
#2304
Vendredi 19 octobre, à Lyon, rencontre avec André-François Ruaud autour d’Hercule Poirot, à partir de 18h, librairie L’Esprit Livre, angle rue du Dauphiné, 3e arrdt. Viendez les gens ! Hercule Poirot, une vie, une énAUrme biographie du détective co-écrite avec le professeur Xavier Mauméjean, paraît là maintenant tout d’suite.
#2303
Il y a quelques temps, j’ai effectué des recherches à propos du lien canaux de Londres / littérature, et suis tombé en particulier sur un polar pour la jeunesse datant de 1948 : Two Fair Plaits de Malcom Saville. J’ai eu des difficultés à l’obtenir, le premier bouquiniste s’avérant malhonnête, mais enfin, longtemps après l’écriture de l’article concerné du Londres, une physionomie (que je vais légèrement amender, du coup), le roman est enfin arrivé. Je l’ai lu hier, et ce fut un excellent moment. Car ce monsieur Saville (1901-1982) écrivait superbement. Moi qui en ce moment relis (mais en VO) les Club des Cinq d’Enid Blyton (les Famous Five, de fait), qui sont atrocement non-écrits (que du dialogue, pas une description, pas un poil d’atmosphère, rien : des dialogues et rien d’autre, c’est incroyable comme ces textes sont dénudés), ce fut un plaisant changement. Car dans Two Fair Plaits, deuxième des six aventures des enfants Jillies, non seulement l’intrigue est-elle merveilleusement variée et rebondissante, mais il y a un véritable sens des décors, de l’atmosphère, des lieux et des personnes… et rien de réac, bien au contraire.
Une fillette de 11 ans, qui doit se rendre à Londres pour Noël chez sa grand-mère qu’elle ne connaît pas, est enlevée. Les Jillies sont des voisins de la vieille dame et décident de chercher la jeune Linda, car ils ont intercepté le gamin de l’East End chargé d’apporter le message de demande de rançon. Les Jillies, une fille de 16 ans, une autre de 13 et un garçon de 11, vivent avec leur peintre de père dans un appartement sur l’Embankment de Chelsea, dans une agréable vie de bohème. Leur seule richesse: un tableau de tournesols par Van Gogh — c’est dire que l’auteur n’était pas terriblement conformiste dans ses idées. Avec leurs amis Guy (17 ans) et Mark (13 ans), venus pour les vacances de Noël, les Jillies sont plongés dans l’épais brouillard de cette fin 1947 (ce qui est d’ailleurs historique, de même que Saville mis en scène dans un autre roman les inondations catastrophiques des Fens en cette même fin 1947, tout comme Dorothy Sayers dans The Nine Tailors), tandis que Belinda passe d’un narrow boat (péniche étroite pour les canaux) à une auberge en ruines surplombant la Tamise, à des péniches amarrées au centre du fleuve, jusqu’aux docks en ruines aussi (post-Blitz oblige). On circule de Chelsea à Wapping, dans l’East End, du brouillard à la vase du bord de l’eau, il y a un majordome compassé, un avocat coincé, une vieille dame snob, des bus rouges, un restau de grillades pour prolos, les rues pauvres et bombardées de l’East End, un grand incendie… Enfin bref, ce petit roman est une merveille tant comme excellent polar plein d’ambiance, que pour le portrait maintenant historique qu’il brosse sur Londres. Je sens que je vais en lire d’autres, des Malcom Saville (auteur apparemment jamais traduit en français, ai-je l’impression). P.S. grâce à JPJ : mais si, deux traductions tout de même. Dont ce roman-ci, sous le titre Deux tresses blondes, dans la « Nouvelle Bibliothèque de Suzette » (Gautier-Languereau, 1962).



