#1807

Pour rester dans les Seventies: dans la série Life on Mars, dont j’ai regardé avec pas mal de fascination les deux premiers épisodes, j’étais un peu étonné de l’absence totale d’une démarche de police scientifique, ne serait-ce que faire gaffe aux empreintes (pour ceux qui ne connaissent pas, il s’agit d’une série anglaise où un flic du Manchester de maintenant se retrouve brutalement projeté dans les années 1970). Ç’aurait pu aller avec l’aspect quasi onirique de cette série, ses décalages étranges, mais en fait j’ai revu hier soir l’un de mes films cultes, datant de 1975, et ce n’est pas mieux, lors de l’enquête au début c’est du n’importe quoi niveau procédure… Le passé est un pays étranger, disait L. P. Hartley — et les Seventies sont d’autant plus « étranges » que ce ne sont que les détails qui étonnent. Si loin, si proche, tout ça. Le film, c’est Le Chat et la souris de Lelouch (oui Patrick, tu peux hurler), que j’adore de longue date. Un polar bizarre en diable, limite Nouvelle vague, avec Michèle Morgan et Serge Reggiani absolument brillants.

#1804

Lire des romans de littérature contemporaine situés dans les années 1970 s’avère une expérience un rien déstabilisante. Car la société présentée n’est guère différente de la nôtre, presque tout semble identique — et puis, de temps à autre, un détail rappelle que, oups, ce sont les Seventies! Par exemple, un des protagonistes de Capital (Maureen Duffy, 1975) s’étant fait agresser dans une gare de banlieue, doit retirer du liquide car il n’a plus d’argent. Pour cela… il doit se rendre en bus jusqu’à sa banque, et retirer de l’argent au guichet. Pas de distributeurs muraux, bien sûr. Ah, et la mode! « Everywhere I look there’s the same imitation of ‘thirties, ‘forties, ‘fifties fashions that were hideous in their day and have gained nothing by regurgitation with a touch of green and mauve camp. » Comme quoi, la mode du revival ne date pas d’hier — ou plutôt si, justement, elle date déjà d’hier. Rire à la description que le perso, un auguste prof d’université, fait de sa propre vêture: « the last of the dandies in ruffles and velvet »! Un de ses collègues s’occupent de cybernétique — décalage constant entre un design contemporain et une salle d’ordinateurs telle que e me l’imagine spontanément, et de ce qu’ils sont réellement dans ce roman, à cette époque. J’ai eu la même impression de décalage un peu troublant en lisant un « Bryant & May » également situé dans les Seventies. Avec le problème supplémentaire d’avoir quelques difficultés à imaginer les deux détectives moins âgés que d’habitude.

#1803

Je disais que je reviendrai sur le sujet des « Bryant & May » de Christopher Fowler. Voici donc. Il faut dire que j’ai dévoré les six premiers volumes (j’attends le septième en softcover) en fort peu de temps, genre en un mois, quelque chose comme cela. De temps à autre, un tel « marathon » est bien agréable, je trouve. Histoire de totalement s’immerger dans une oeuvre. Et il faut également dire que, cette oeuvre, j’ai eu l’étonnante impression… qu’elle était faite rien que pour moi, sur mesure, et même quasi en simultanée de ma lecture. Car ces « Bryant & May » se déroulent tous en fin d’année, quand la pluie frappe, que les ciels sont bas, que les jours sont courts et sombres. Exactement comme lorsque je les lisais — et j’ai terminé par White Corridor, où les deux vieux flics sont enfouis dans les congères, pile au moment où la neige tombait à gros flocons sur Lyon. Outre cette sensation de simultanéité de mon expérience climatique avec celle des récits, une autre part de mon plaisir provint bien sûr du sujet profondément londonien de cette série. Mieux encore: je reconnaissais les lieux, pour la plupart. Une familiarité encore renforcée par le style et l’humour de Fowler, par son érudition aussi — jubilatoire. Enfin, et ce ne fut pas le moindre des « effets Bryant & May » pour moi, cette familiarité joua également pour les structures narratives et les modes d’inspiration de l’auteur.

Cela pourra paraître prétentieux de ma part, bien sûr, mais ces romans, j’ai souvent eu l’impression que j’aurai, presque, pu les écrire. Tant j’en reconnaissais la manière dont l’auteur construisait ses récits, ses solutions narratives, tout cela: son projet. Il faut dire (encore) que je me suis consacré durant quelques années à l’écriture d’un cycle de fictions situées à Londres, avec un duo d’enquêteurs comme protagonistes et le « trivia » londonien comme source principale d’ambiance et d’intrigues. La première nouvelle fut publiée dans l’antho Escales sur l’horizon, une autre parue dans la revue québécoise Solaris. Et c’est tout: entre-temps, le cycle essuya des refus auprès de toutes les maisons d’édition, qu’elles soient de polar ou de SF, auxquelles je le proposa — et elles furent nombreuses. L’échec sur toute la ligne, quoi. Pourtant, des amis connaisseurs (tels Bellagamba, Mauméjean et Régnier) me disaient aimer ces fictions, mais personne n’en voulait — de l’uchronie juste au niveau du décor, du polar mâtiné de SF, des nouvelles, pouah, pouah, invendable mon bon monsieur! Alors soit, la mort dans l’âme j’ai abandonné ce que j’avais cru être mon « oeuvre maîtresse », quelle vanité, j’avais pensé trouver ma voix mais faute qu’on veuille l’entendre, il me fallait bien m’avouer vaincu, peut-être m’étais-je fourvoyé. 750 000 signes terminés, au moins la moitié autant de diversement entamés. Dommage.

Depuis, j’y repense souvent. Sans jamais trouver le temps d’y revenir, malgré l’envie que j’en ai toujours. Bodichiev (c’était mon détective) attend encore dans son tiroir. De temps à autre, je songe à l’auto-éditer en tirage limité, allez, juste histoire que ça existe un tout petit peu. Mais le temps… Enfin bref, l’oeuvre de Chris Fowler, j’ai eu l’impression étrange (traitez-moi de mégalo, tant pis) qu’il s’agissait d’une sorte de version… uchronique des envies, des motivations narratives que j’avais pu avoir. En long, en abouti, en passionnant — en publié. J’ai adoré. Forcément.