Pour être un lecteur boulimique (et peut-être de ce fait?), j’ai des habitudes de lectures très variables. Ma seule constante, en définitive, c’est sans doute la lecture de bédés et de comics. En ce moment je suis très Batman, par exemple. Pour le reste, la prose, vraiment tout est très variable. Plein d’essais, mais les romans ça va ça vient. Au mois d’août, j’ai essayé de me surprendre moi-même… Je veux dire par là: de retrouver le chemin des romans, que j’ai tendance à un peu négliger ; et de lire des choses qui ne seraient pas forcément de mes choix naturels.
Ainsi, comme je faisais un peu de rangement dans mes bibliothèques et descendais des bouquins à la cave (j’y suis régulièrement obligé, afin de ne pas mourir étouffé sous le papier), je me suis dit qu’il serait distrayant d’essayer de relire une saga de fantasy archi-classique — les David Eddings. J’ai donc attaqué la Belgariade, lue et aimée autrefois. Lecture amusante, légère, pas de la haute littérature mais un traitement astucieux de l’ensemble des poncifs post-Tolkien, servi par une langue soutenue. Seulement, après des pages et des pages de péripéties un peu convenues et d’expéditions à rallonge, la suite m’est tombée des mains — le second cycle n’est en effet qu’une redite du premier, ce que l’auteur justifiait de manière très amusante dans la logique interne de son propre univers, ce qui donne à réfléchir de façon intéressante sur la structure de ce type d’univers de « BCF », m’enfin quand même, ça allait bien: hop, les dix volumes sont à la cave.
En même temps, contraste s’il en fut, je lisais Proust. En avançant lentement dans ces phrases touffues et (trop) longues, où l’on passe d’un segment à l’autre d’une hilarante moquerie des salons mondains, avec un point de vue grinçant et cynique, à d’interminable jérémiades de cette chochotte de narrateur, franchement exaspérant dans ses hésitations sans fin. Il y a donc des passages superbes (et quasi impressionnistes, le plus souvent), d’autres fort ennuyeux, des changements de niveau fort curieux, et dans tout cela tout de même plein de belles choses ou de petites curiosités — le tout terriblement daté me semble-t-il, nombre de passages se lisent plus comme un témoignage historique que comme un récit littéraire. Enfin, je continue, quelques pages chaque soir ou presque. Et suis heureux, tant il est vrai que l’état d’esprits « bibliothèque rouge » ne me quitte presque jamais, d’avoir trouvé chez Proust un passage pouvant expliquer certains aspects d’Arsène Lupin, et un autre prouvant (!) que le Comte de Paris et la scandaleuse Mme Swan (l’ex Odette de Crécy) se croisèrent un jour en Ruritanie…
Et puis quoi d’autre? Eh bien, des livres qu’on m’a offert: un Jules Lermina envoyé par Alexandre Mare, qui débute fort bien mais que je n’ai pas encore fini (du vieux roman feuilleton, donc) ; un recueil d’Emmanuel Bove donné par Xavier Mauméjean et dont j’avais déjà lu deux des courts romans. J’avoue n’avoir guère de goût pour cette littérature grise et désenchantée, je retrouve chez Bove la même tristesse que chez Gadenne et Calet que j’avais lus autrefois ; la même très belle langue, aussi, bien sûr, qui m’a tout de même soutenu dans cette lecture ; et puis en fin de recueil un vrai bonheur: Bécon-les-Bruyères, très grinçant portrait d’une banlieue, un vrai texte psychogéographique sur un sujet spécialement dérisoire. Enfin, lu Graal Flibuste de Robert Pinget, que venait de m’offrir Timothée Rey. Un récit d’aventure exotique revu façon Ailleurs de Michaux, pays imaginaires, très étrange texte, poétique, un peu fou et un peu désuet à la fois.
Au programme maintenant: me replonger dans l’Angleterre des années 1920 à 1950, afin de préparer la prochaine biographie de la Bibliothèque rouge, Hercule Poirot, une vie. Mon co-auteur Xavier Mauméjean y travaille déjà depuis un moment et a fait un nombre étonnant et réjouissant de découvertes. Rédaction prévue pour janvier, d’ici là je dois me replonger dans ces époques, dans des tas d’essais — et aussi dans quelques romans évoquant le Blitz, en particulier. Auparavant, je viens de lire une vieille mais excellente histoire de l’impressionnisme (John Rewald, 1955) pour étudier la manière de construire certains futurs volumes de la collection, auxquels je cogite actuellement (une nouvelle manière de développer notre concept). Par conséquent, cette immersion dans une autre époque ne sera pas un dépaysement, simplement le prolongement d’un de mes modes favoris de travail.