#58

Il faisait doux & beau, jeudi dernier. En sortant du resto, je n’ai pas eu envie de rentrer tout de suite chez moi. Je suis donc parti un peu au hasard dans les rues de Villeurbanne — une ville aussi vaste que moche, en fait, sans caractère, mais comme dans toutes les villes on y trouve des petites choses à observer, des bâtiments étonnants, des petites maisons cachées entre deux immeubles modernes, des courettes moussues, des anciennes usines… Villeurbanne présentait un aspect intéressant, il y a encore peu d’années de cela. Mêlant campagne, petites usines & banlieue pavillonaire. Hélas, l’aveuglement d’une municipalité sans plan urbanistique & l’appétit vorace des promoteurs immobiliers ont transformé en peu de temps cet ensemble quaint & étrange en une simple ville-dortoir, une zone résidentielle sans imagination. Les grandes cheminées en brique sont presque toutes tombées. Les petites maisons ont presque toutes été rasées. Il faut désormais pas mal chercher pour trouver dans Villeurbanne quelques coins encore préservés. Telle cette amusante rue Baudelaire, à la « poésie » inorthodoxe: elle serpente entre d’anciennes usines. Et oui, j’aime assez les vieilles usines: elles ont un côté « friches industrielles » qui est séduisant, elles dégagent une sorte de charme délabré, offrent au regard des arbres tordus, des pavés disjoints, des décorations d’autrefois, des coins & des recoins inattendus — alors que les résidences qui poussent actuellement se ressemblent toutes, sans surprise, aseptisées. Les vieux garages, aussi, offrent encore des ruptures intéressantes dans l’uniformisation du tissu urbain.

Cela faisait très longtemps que je ne m’étais pas promené comme ça. Depuis la fin de l’écriture de ma nouvelle « Volage », je crois (dont la narration erre dans Montchat, du côté de la voie ferrée — elle sortira au début de l’an prochain dans la revue québécoise Solaris). Hélas, Lyon & Villeurbanne ne recèlent plus pour moi tellement de vraies surprises… Je suis passé cependant, pour la première fois depuis longtemps, par le quartier des Gratte-Ciel: il est maintenant entièrement repeint en blanc, presque pimpant. C’est un ensemble architectural incroyable. Unique. À la fois dérisoire (en fait de « grattes-ciel », les tours ne sont pas bien hautes) et enthousiasmant (un ensemble bien intégré, réfléchi, esthétique). J’ai lu quelque part que c’était le premier projet urbanistique européen à s’inspirer de l’architecture américaine. Avant d’être blanc, il faisait carrément stalinien: même source d’inspiration. En ce moment, il est simplement… intemporel. Un fantasme d’années trente, transplanté en notre début de XXIe siècle. J’adore. Dommage qu’il ne soit pas un peu plus vaste — et surtout: que les bâtiments qui l’entourent n’aient pas la même démesure, le même génie tranquille. Seul le lycée Pierre Brossolette, tout près, et surtout ses grands pilliers d’entrée, retrouve une infime parcelle de cette belle mégalomanie Art Déco.

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