#297

Samedi dernier, soir, en route vers Nyons:

Les voitures de la file inverse ne sont que des fantômes: nimbées du voile trouble de la pluie & de l’eau que soulèvent leurs pneus, elles ne sont guère visibles que comme des formes imprécises, d’une clarté diffractée & nébuleuse. La barrière séparant les deux voies de l’autoroute renforce cette impression étrange: elle apparait telle une tranche d’obscurité au-dessus de laquelle flottent ces spectres automobiles, si diffus qu’il pourrait presque s’agir de traces lumineuses, d’échos brumeux issus d’une dimension décalée.

Il fait nuit, il pleut, l’autoroute est gommée par les gifles grises d’un orage de bonne dimension. Qui ira en s’aggravant: notre conducteur lèvera le pied jusqu’à ce que nous ne roulions plus qu’à 50km/h. Avec une visibilité pour ainsi dire nulle: seuls repères, les deux feux rouges d’un autre véhicule, loin devant nous, et encore plus loin derrière les feux blancs de celui qui nous suit. L’asphalte n’est plus qu’une surface brouillée, tumultueuse, un liquide sombre & bousculé. Je ne ressens aucune crainte, seulement de la fascination: jamais je n’avais vu un orage animé d’une telle rage. Et cela dure: pas une grosse averse ponctuelle, pas un méchant nuage, non! Cet orage s’avère terriblement long. Ou bien se déplace-t-il en même temps que nous?

Il y a tant d’eau au dehors que je commence presque à me sentir pousser des branchies — lorsqu’enfin la pluie se calme un peu. Calme tout relatif, mais après la violence de l’orage cette seule pluie nous fait l’effet d’une complète accalmie.

Illusion seulement: l’essuie-glace arrière étant tombé en panne (bien le moment! Et alors que la voiture est neuve!), le pauvre Gizmo se gare sur le parking d’une aire & sort pour tenter de faire repartir la raclette réticente. Ouch! Notre conducteur est immédiatement trempé. Assis à l’avant, je sens des gouttes durant le moment pourtant bref durant lequel la portière est ouverte.

Gizmo passe derrière la voiture, tapote son essuie-glace devenu essuie-coffre. En vain. Il le manipule, le remonte, le redescend. Éclairé indistinctement en rouge par les feux arrière, brouillé par l’eau qui ruisselle sur la vitre, le Gizmo se transforme en étonnant & hilarant spectacle d’ombres chinoises.

#296

Fin de l’été. Temps maussade & orageux, ce qui étant donné ma nature contraire n’est pas vraiment pour me déplaire.

Bruno, mon « cousin d’Amérique », m’a fait parvenir un de ses nouveaux tableaux, réalisé spécialement pour moi. J’aime. Beaucoup. Nouvelle manière, nouvelle matière, nerveuse & assez violente, mais très belle. Celui de notre copine Lily est également superbe — très froid celui-ci, mais laissant filtrer une étrange lumière. Je regrette un peu que le format des tableaux de Bruno ne permette guère de les scanner, pour en mettre en ligne sur mon prochain site perso, par exemple — il n’est pas nouveau que j’admire son travail pictural.

Pas d’excursion à la Braderie de Lille pour moi cette année — dommage. Dimanche dernier, en revanche, fut l’occasion d’une brève escapade en Provence, en la petite ville de Nyons. Un de ces intenses moments d’amitié/détente comme je les aime. Je n’ai pas encore mis en ordre mes notes sur cette agréable quoique pluvieuse journée. On verra si je le ferai; pas vraiment d’obligation de toujours « suivre » chaque instant de mon existence, n’est-ce pas?

Et puis pas la grande énergie, ces jours-ci. Un peu de vague à l’âme? Ou plutôt un simple passage calme…

Quoique j’avance bien sur le scénar de la BD (que j’ai hâte d’achever) ainsi que sur une nouvelle. À défaut de temps partiel, mon boss (qui a ses propres impératifs mais n’est pas un chien) songe à me proposer une organisation « différente » de mon temps de congés, pour l’année prochaine. Pas facile à organiser, ça. Ce serait, disons, un pis-aller à défaut de temps partiel. Avec le désagrément d’émietter mes vacances sur toute l’année — ce qui ne serait pas forcément de tout repos, somme toute. Enfin, nous verrons. Rien de tout ceci n’est facile: décidément l’emploi de libraire est assez exigeant. Mais soyons franc: en dépit de ma très forte envie d’écrire plus, de m’investir toujours plus sincèrement dans une activité d’écrivain, je demeure libraire dans l’âme & n’aurais guère envie d’exercer un autre métier « alimentaire »…

Côté lectures, outre que j’ai du me « payer » pour Denoël le parcours d’un épouvantable manuscrit — d’un auteur assez connu qui s’est ici laissé aller à une sorte de méli-mélo de cul & d’horreur, atrocement ringard (j’ai décrit ça, sur ma fiche de lecture, comme une sorte de très mauvais Pagel) — , & puis outre bien sûr que je poursuis avec délice la bio de Jacques Tati; je lis avec une sorte de plaisir très doux A home at the end of the world de Michael Cunningham. Un roman datant de 1990, sur le parcours d’un trio à travers les aléas de l’amour & la difficile recherche d’un équilibre. Deux garçons, Bobby le calme rêveur indécis & Jonathan le gay speedé, et une fille indépendante & grande gueule. Je suis enchanté par la précision de touche & la douceur sans mièvrerie de ce roman. Une tranche de réalisme toute en nuances, sur le désir, l’incertitude existentielle, l’opacité & la tendresse des autres…

Je viens de faire une recherche, ce roman existe en français: La maison au bout du monde, au Livre de Poche. Joli résumé:

« De Cleveland à New York, du temps des hippies à celui du sida, l’histoire de Jonathan et Bobby, deux amis d’enfance, couvre vingt-cinq ans. Après l’ivresse de liberté des années soixante-dix, les personnages sont à la recherche d’un refuge, d’une  » maison intérieure  » dans ce monde déboussolé. Objet du désir, lieu géométrique des contradictions : la famille, à détruire ou à retrouver, à fuir ou à reconstruire. »

#295

Mon jeune camarade & néanmoins colocataire, le sieur Davenas, vient de se lancer à son tour dans l’art du weblog… Sous le titre des Eaux Troubles il devrait désormais gloser musique — musiques sophistiquées, s’il vous plaît: progressive rock & tutti quanti. Et puis de ce qu’il voudra d’autre, of course!

As he says: « Ayant profité de cette période de silence « littéraire » pour élargir mon amour de la musique à d’autres contours esthétiques, je reprend la plume avec l’espoir, un peu hésitant, de piquer la curiosité de quelques fêlés de ma trempe. »

Bienvenue dans la famille des bloggers francophones, Olivier. 😉

#293

Chic alors: il vient de pleuvoir, et maintenant il fait bon, avec un petit vent frais qui caresse les plantes vertes avant de me parvenir tout doux. J’aime. Trois jours de canicule c’était déjà trop. Y’a des fois où je me dis que je dois être la réincarnation d’un Anglais ou quelque chose comme ça.

Reçu hier un avis de passage du facteur — il y a beau temps que ces gens-là ne montent plus même un seul étage pour sonner chez les gens, pensez donc. Plus fort: je ne peux récupérer ce colis mystérieux (contre remboursement? Bizarre ça!) qu’après-demain. Trois jours de délais pour pouvoir aller à la Poste retirer un colis? Fichtre, mais c’est que ça s’améliore encore, le service postal, dites-moi?! Comme disait je ne sais plus quel politicien (de droite mais dôté d’humour): ils étaient au fond de la piscine, maintenant ils ont commencé à creuser.

Je suis en pleine Tati-mania: j’avance avec délectation dans sa bio par David Bellos (au Seuil), et me suis offert hier un beau recueil de photos & documents, réunis chez Ramsay par Marc Dondey.

Dans la foulée, j’ai rédigé un synopsis pour une enquête de mon personnage commanditée par Jacques Tati, & suis allé fouiller sur le web à la recherches de tableaux ou dessins de son grand complice, le peintre Jacques Lagrange. Pas trouvé grand-chose hélas, à part ce très beau tableau: « Composition française ».

Après avoir revu Mon oncle et Playtime en peu de temps, j’aurais très envie de revoir les Vacances de M. Hulot; las, je ne l’ai pas.