#329

Impressions londoniennes

Petit somme dans l’Eurostar, j’ai rêvé d’Art déco et, me réveillant, me trouve un instant surpris que l’intérieur du wagon ne soit pas décoré par Charles Rennie Makintosh comme dans mon songe. Le monde est mal fait : la réalité devrait être plus directement malléable. Genre, au passage du tunnel sous la Manche, pop ! notre Eurostar acquiert un look à faire blêmir de jalousie les décorateurs de la série « Hercule Poirot ». Sans même changer le cadre chromatique des Eurostars : noir et jaune, j’imagine bien les colonnes aux cannelures droites qui séparent les sièges, les lustres carrés tombant du plafond… De même, outre-Quiévrain le Thalys serait soudain en Art nouveau — volutes pourpres à la Horta dans tous les wagons !

Chambre d’hôtel exiguë, le lit prend presque toute la place, tout juste si je parviens à caser ma grosse valise dans un coin. Oreillers étiques, on en demandera d’autres. Dehors, ciel bas & gris, légère bruine. La fenêtre donne sur la cour de l’école — vu du lit, ses toits (ardoises luisantes & brique sombre) me font penser à une sorte de monastère écossais, vague évocation de la demeure de William Morris près d’Oxford. Une école Art & Crafts, ou est-ce juste moi qui suis obsédé par ces esthétiques-là ?

Sitôt les bagages posés, nous fonçons à Camden Market. Bain de foule psychédélique — agréable tant qu’il demeure assez bref. Le marché ne cesse de s’agrandir, de nouveaux stands ont envahis une des cours pavées. Le charme tapageur de cet endroit tient, très paradoxalement, à son mercantilisme, à son artifice : c’est justement parce que Camden Market n’est pas authentique, qu’il brasse des baba-coolismes de pacotille & des provocations à la petite semaine (les centaines de tee-shirts rouges « CCCP » !), qu’il est… ce qu’il est. Camden Market trouve son identité même dans le faux-semblant. Sa séduction réside dans son leurre !

Bruine froide, effluves d’encens, cacophonie bruyante, colifichets multicolores; vieux bouquins & vieilles bouteilles, trois nouveaux batiks pour décorer nos fauteuils, nous déambulons le coeur léger & les cheveux mouillés.

L’estomac lesté par des pâtes chinoises, nous reprenons les bords de notre cher canal. Je suggère à Olive que nous poussions un tout petit peu plus loin, juste de l’autre côté de York Way, afin de regarder de plus près le bassin qui se trouve là (Battlebridge Bassin). Nous tentons l’approche par un bord, puis passant par des petites rues, par un autre : un musée du canal ? Hum, je veux voir ça !

Vraiment une affaire de famille, ou peu s’en faut — aspect « cheap » fort sympathique & enthousiasme du monsieur qui nous accueille à l’entrée. Situé dans un ancien entrepôt de glace, le London Canal Museum ne présente pas un nombre formidable de panneaux ou d’animations, mais je suis malgré tout ravi de le visiter : je complète ainsi ma connaissance amoureuse des canaux londoniens. Deux films sont aussi projetés, dont l’un, muet, en N&B — chouette document. Olivier, fatigué, pique du nez sur sa chaise. On redescend par la rampe d’accès des chevaux, jusqu’à l’expo sur le commerce de la glace. Découpée en Norvège, celle-ci était ensuite acheminée par voie de mer jusqu’à Londres (au Limehouse Basin) puis par péniche jusqu’à l’entrepôt. Il y avait tant de glace, dans deux immenses puits, que le froid s’entretenait longtemps. Un de ces puits peut encore être vu, peu profond maintenant mais donnant néanmoins une bonne idée de la chose… Pour être fauché & pas très plein, ce musée parvient pourtant à évoquer des échos de l’époque des transports sur le canal, par la massivité de son architecture & par les artefacts désuets qui le jonchent…

Soir. Sur Gray’s Inn Road, refuge au pub Kings Head pour échapper à une pluie trop tenace. « Ghosts at the Kings Head », proclame un petit dépliant : poltergeists & soupçons d’activités spectrales, pour un pub qui ne paye guère de mine. Fish & chips, half-pint of cider : deux leitmotivs du séjour.

Vite mon carnet : noter sur Judd Street l’adresse exacte de la fromagerie française, chez laquelle je fais se servir m’sieur Bodichiev (Bloomsburry Cheeses).

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