#349

Aussi lu: The Infernal Device and Others par Michael Kurland (sous-titré « A Professor Moriarty Omnibus »)

« The Infernal Device », premier roman de cet omnibus, nous permet de faire la connaissance d’un vieux professeur anglais et de deux jeunes gentlemen, dans le décor bigarré et exotique de la Turquie de la fin du XIXe siècle. Le Sultan se prépare à faire la démonstration de sa supériorité technique, en lançant devant la presse occidentale son premier sous-marin, le Garrett-Harris.

Poursuivi par une bande de coupes-bourse, le vieux professeur est sauvé par l’intervention du lieutenant Sefton, de la Navy britannique, et du journaliste américain Barnett. Quoique en fait, le professeur ne semblait guère inquiet: il pratique un art martial asiatique redoutable!

La carte de visite du professeur est assez énigmatique: James C. Moriarty, Ph. D., 64 Russell Square, consulting.

« Consulting »? Mais consultant en quoi? Le vieil homme ne répondra pas vraiment: il résoud des problèmes, il répond à des questions, très rarement il rend des services… Et en l’occurrence il est actuellement en route pour la Russie, où un client l’a demandé.

L’étrange Moriarty repart donc, avant même la démonstration du submersibles — qui est un désastre: le sous-marin explose en plongée! Le soir suivant, alors que le lieutenant Sefton a reconnu à son ami Barnett être un espion britannique, le journaliste américain découvre Sefton mort dans sa chambre, assassiné.

Accusé du meurtre, Barnett se retrouve dans une atroce geôle turque, sur le point d’être exécuté pour meurtre et espionnage, car on l’accuse aussi, tant qu’à faire, d’être le coupable du sabotage du sous-marin du Sultan!

Moriarty revenu en Turquie fait évader le jeune homme, mais exige de lui en retour… deux années de service. Le professeur établit le jeune homme chez lui, à Londres, et lui demande de lui servir en quelque sorte de secrétaire. La première tache de Barnett: mettre sur pied un service de renseignement journalistique, qui sous couvert de fournir des news anglaises à la presse quotidienne américaine, lui permettra de rechercher dans les faits divers toute indication un peu étrange. Car Moriarty a été embauché par les agents secrets du Tsar pour mettre un terme aux sinistres agissements d’un… agent du Tsar! Car la police secrète russe est ainsi faite que sa main droite ignore souvent ce que fait sa gauche, et une cellule extrémiste s’est constituée, intouchable, son dirigeant inconnu et protégé, une cellule ultra-secrète qui vise à la déstabilisation de l’Empire britannique par un acte d’éclat, une atrocité de grande échelle qui pourrait mettre à mal tout l’équilibre européen. En position délicate et presque aveugle, la police secrète du Tsar a donc fait appel aux services de Moriarty pour retrouver et stopper la cellule folle!

Mais ladite cellule est d’une redoutable intelligence, et Moriarty a une grande faiblesse: la haine qui lui voue le grand détective anglais, Sherlock Holmes! Une haine qui confine souvent à l’aveuglement, et en tout cas à l’obsession. Holmes est persuadé que chaque action criminelle menée à Londres ne peut être que l’oeuvre en sous-main de Moriarty, son ancien mentor, qu’il voit comme un Napoléon du crime organisé!

En fait, Moriarty est lui-même une sorte de détective, sauf qu’il n’a pas accepté les codes moraux de la société victorienne, biaisés et inégalitaires comme ils le sont, et qu’il a préféré suivre sa propre éthique personnelle, inflexible mais souvent peu conforme à la morale du temps. Et s’il « consulte », c’est souvent pour les dirigeants du monde souterrain de Londres: chef de la guilde des mendiants, grands bandits, etc. Au bien, c’est autant pour des états étrangers — tels que la Russie — que pour Scotland Yard (Lestrade consulte Moriarty dans des affaires délicates, tout comme il consulte Holmes).

La cellule criminelle décide donc de lancer Holmes contre Moriarty: paralysés mutuellement, les deux grands hommes devraient ainsi lui laisser les coudées franches. Ce qui est sans compter sur l’intelligence supérieure de Moriarty, qui va parvenir à persuader Holmes de collaborer provisoirement avec lui, afin de fouiller la rade où la Reine Victoria va bientôt apparaître pour une cérémonie navale.

Le deuxième texte de cet omnibus est une nouvelle, « The Paradol Paradox », écrite récemment. On notera d’ailleurs que l’auteur s’est trompé dans ses propres dates — voilà qui ne fait guère sérieux…

Il s’agit d’une enquête dans le style de Holmes, sur des meurtres grand-guignolesques commis dans le cadre d’un club très privé pour gentlemen.

Enfin, « Death by Gaslight » est un autre roman sur Moriarty, durant lequel un serial killer semble décidé à abattre de nombreux membres de l’aristocratie anglaise. Une fois encore, Moriarty et Holmes vont devoir d’abord s’affronter, puis tenter de travailler plus ou moins dans la même direction…

Stylistiquement, il ne faut pas ici s’attendre à des miracles. Vraiment pas… D’ailleurs, je ne vois guère que les pastiches signés par Laurie R. King pour atteindre à une qualité véritablement littéraire. Kurland, pour sa part, écrit sans génie particulier, de cette manière plate et utilitaire qui est habituelle en littérature populaire. Qui m’agace de plus en plus souvent, il faut bien l’avouer, tant elle ne satisfait pas mes aspirations.

Mais pour autant, c’est du boulot sympa, bien fichu. Kurland sait camper son Moriarty de manière convaincante: à la fois très sec, très froid, et en fait plein de bonté, le professeur est un intellectuel tellement supérieur au reste des hommes qu’il est forcément un peu en retrait, semble souvent incompréhensible tant son éthique est singulière. Mais vu de l’intérieur, il apparaît un être passionnant et passionné, physiquement fragile mais jamais froid, réellement compatissant. C’est littéralement un Sherlock Holmes âgé.

Le seul problème que j’ai vis-à-vis de ce style de pastiches, c’est Sherlock Holmes lui-même: il apparaît un peu trop foolish, obsédé comme il est par son idée fixe sur son ancien professeur… Considéré par Barnett (un Watson nettement plus vif que le bon docteur, d’ailleurs), Holmes semble un peu trop naïf, il perd de la superbe qui s’attache à son mythe.

Niveau intrigues, rien à redire: ce sont de bons Holmes. Kurland avait déjà prouvé il y a des années, avec ses faux Lord Darcy, la qualité de son talent de romancier policier. Bien sûr, son Londres demeure superficiel, très cliché — il n’y a pas chez Kurland le souci de documentation qu’ont Carole Nelson Douglas et Laurie R. King dans leurs propres pastiches. Kurland demeure un petit faiseur, plaisant mais sans étincelle. J’ai lu ces trois récits avec plaisir, confortablement, mais sans jamais voir remis en cause mes habitudes de lecteur de « holmeseries »… et c’est sans doute dommage. A dire vrai, s’il ne m’avait pas été demandé d’en rédiger une fiche de lecture pour un éditeur, je n’aurai peut-être pas été jusqu’au bout de ce pavé. Tant d’indigence stylistique fini généralement par me lasser — cette sorte de manque de stimulation intellectuelle, en fait, me fait de plus en plus « décrocher » de ce style de littérature « facile »… Tant qu’à lire du polar classique, ce que j’adore toujours, je préfère (& de loin) lire des nouvelles (genre Agatha Christie, dont je grignote toujours quelques recueils). D’ailleurs, la forme courte demeure encore & toujours une préférence de lecture, chez moi: je n’en parle pas ici en détail, mais je lis tout le temps des nouvelles (notamment de SF: cf. le très beau recueil de Jean-Jacques Girardot, Dédales virtuels).

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