#416

Instant lucide (2)

(vers minuit)

Une rosée nocturne luit sur l’herbe rase, tandis que tassés dans l’ombre épaisse les buissons se sont fait gnomes griffus, très affairés à téléphoner des instructions chuchotées à leurs complices (par le fil à linge, télégraphe à leur dimension dont les poteaux ponctuent le jardin). Alentour, les museaux camus des immeubles baignent muettement dans la lueur orange des réverbères. Une unique étoile brille sur ce quartier perdu, dominant de peu les arrêtes aiguës & les pentes obtus des toits de tuiles. Fine & longue, l’ombre rousse d’un chat file soudain d’un mur à l’autre, comme les graviers crissent dans l’allée sous un pas d’homme. Un klaxon nocturne aboie, bref, rauque, dans le lointain. Je n’ai plus froid, n’attend rien, ne demande rien, me contente d’être attentif — « placidité », ce doit être le terme que je cherchais.

#415

Instant lucide (1)

(vers 19h30)

Le charme un peu hautain des grands bâtiments de la fac, d’une aristocratie toute hausmanienne, se détache en une rectiligne dorée & éclatante sur le ciel fuligineux. Dans l’air immobile, de longs nuages blancs s’étirent en filaments, au ras du pont (barre sombre), tandis que tout le reste n’est que barbouillage de gris, du clair au foncé, indécis, sans une trace de ce soleil qui, pourtant, illumine si nettement la fac au-dessus des arbres. L’eau du fleuve brille avec des reflets de nacre — comme l’intérieur d’un coquillage, ou bien est-ce plutôt comme une huile turquoise, parcourue de rides trompeuses.