Instant lucide (2)
(vers minuit)
Une rosée nocturne luit sur l’herbe rase, tandis que tassés dans l’ombre épaisse les buissons se sont fait gnomes griffus, très affairés à téléphoner des instructions chuchotées à leurs complices (par le fil à linge, télégraphe à leur dimension dont les poteaux ponctuent le jardin). Alentour, les museaux camus des immeubles baignent muettement dans la lueur orange des réverbères. Une unique étoile brille sur ce quartier perdu, dominant de peu les arrêtes aiguës & les pentes obtus des toits de tuiles. Fine & longue, l’ombre rousse d’un chat file soudain d’un mur à l’autre, comme les graviers crissent dans l’allée sous un pas d’homme. Un klaxon nocturne aboie, bref, rauque, dans le lointain. Je n’ai plus froid, n’attend rien, ne demande rien, me contente d’être attentif — « placidité », ce doit être le terme que je cherchais.