#543

J’ai déjà dit de nombreuses fois, ici même, toute mon admiration pour Andi Watson.

Je viens juste de lire The Complete Geisha, petite reliure de l’ensemble des histoires qu’il avait consacré au personnage de Jomi Sohodo. Je n’avais que la dernière & suis content d’avoir trouvé le recueil: comme d’habitude, c’est une fête pour les yeux (ah, ce trait charbonneux! & ces effets de gris! Quelle élégance!). Assortit d’un scénario intelligent & touchant, qui mêle avec une belle sûreté de ton les questions d’art, un côté polar & une eprtinence science-fictive. Jomi est une androïde, mais elle fut élevée par son « père adoptif » comme les autres enfants de la famille, afin de prouver qu’une IA pouvait évoluer dans les mêmes gammes de sensibilité que les humains de chair. Et l »expérience semble plutôt réussie, puisque Jomi est artiste peintre…

Andi Watson livre une sorte de « manga » à sa manière (jusqu’au cadre qui est prétendument japonais, quoique ses gratte-ciels fassent bien new-yorkais) & y parviens avec brio. J’ai également essayé de suivre, ces derniers temps, son dernier projet, « comics » celui-ci: Love Fights. Las, mon fournisseur n’a pas été fichu de me livrer tous les fascicules, faut que j’attende la reliure. Dommage, car graphiquement c’est du Watson au top, plus épuré que jamais, & le scénario m’attire bien, une sorte de « soap » sur un dessinateur d’histoire de super-héros, qui est lui-même… un super-héros! Le tout dans un monde à la Powers, où les super-héros existent, mais où l’action est considérée du point de vue des humains ordinaires…

Je ne sais pas, à chaque fois que je dis à un copain mon enthousiasme pour Andi Watson, j’ai droit à des yeux étonnés & une mine d’incompréhension, à la vue du graphisme « ligne frêle » de l’auteur (genre Dupuy & Berbérian, quoi). Enfin, si jamais y’a quelqu’un out there qui prête un tant soit peu attention à ce que j’écris ici… Hum, « Tous ces mots sans voix qu’on s’dit avec les doigts »‘, comme écrivait Polnareff…

Dans le même style graphique, je viens de faire une jolie trouvaille: réaménageant un peu la chambre d’Olivier, je suis tombé sur un rouleau d’affiches — dont une splendide sérigraphie par Jean-Philippe Peyraud! Je ne m’en souvenais même plus, ne sais plus du tout où & quand je l’ai acquise, mais peu importe, je suis aux anges & l’ai illico encadrée au-dessus de mon lit!

#542

Triste: le grand animateur René Laloux vient de mourir, il avait 75 ans. 🙁

J’avais dîné avec lui, il y a quelques années. C’était dans le cadre d’une convention de SF, en Suisse (organisée par la Maison d’Ailleurs, le musée de la SF à Yverdon-les-Bains). il avait donné une conférence géniale — trop modeste, il avait été invité pour donner une conférence sur ses propres films, bien sûr, mais avait préféré nous parler du cinéma d’animation en général, avec projection de raretés à la clef! Grand amateur de dessins animés comme je le suis, je ne suis pas prêt d’oubvlier cette conférence. Et le dîner qui suivit, dans un cadre peu confortable (une gargotte au bord du lac, alors qu’il pleuvait et faisait assez froid), mais où j’eus la chance de parvenir à m’asseoir à côté du maître! Mon admiration pour lui n’avait fait qu’encore croître: il était complètement passionné — et passionnant, bien entendu.

#541

Trois fois déjà, j’avais eu l’occasion de me rendre à Montpellier. Mais c’était il y a de nombreuses années & entre ma mémoire excécrable & les changements de la ville… Car la première fois, si j’y étais demeuré plus d’une semaine, c’était bien avant les grands travaux de Georges Frêche & Ricardo Bofill. À l’époque, la municipalité était communiste, des mini-bus gratuits circulaient dans la ville & l’immobilier faisait la noire mine d’une cité polluée & jamais nettoyée. Montpellier offrait alors au visiteur le visage pittoresque mais fatigué d’une petite ville en déreliction, d’un charme fanné.

Mon deuxième séjour n’avait été que d’un jour ou deux, pour une convention de science-fiction à laquelle je n’avais fait que passer brièvement. La ville changeait, aux portes de la Comédie poussait une architecture étrange, quasi gréco-romaine dans sa prétention: Antigone. Mes parents habitant Cergy-Pontoise, je me trouvais déjà familier des travaux de Ricardo Bofill. Arrivé tard dans la nuit, je me baladais au milieu des colonnes toutes neuves de Bofill lorsque sur une place en demi-lune, une fête estudiantine en rez-de-chaussée avait déversée ses flonflons & ses rires. Happé par un garçon avenant, j’avais fait la curieuse expérience de m’incruster dans une fête où je ne connaissais personne. Amitiés impromptues & complicités superficielles d’une nuit, beuveries & bisous, souvenir ébloui & ravi, un conte de fée moderne.

La troisième fois, je ne fis que passer: un embouteillage alors que nous descendions en voiture vers Lodève. Juste le temps de distinguer quelques palmiers, quelques maisons basses comme je les aime & de voir que là aussi les travaux d’un tramway défonçait les artères, comme à Lyon au même moment.

Cette fois, quatrième donc, j’y fus pour deux jours. Deux baguenaudes, alors, afin de me laisser surprendre par la pierre blonde, les colonnes anciennes ou faussement anciennes, les arcs de triomphe, les perspectives basculantes d’un niveau à l’autre, les rues qui se transforment en escaliers, les artères étroites pleines de commerces, l’église Sainte-Anne aux arrêtes triomphales, les espaces & les respirations… Montpellier me rappelle Bordeaux, de la couleur de sa pierre à ses bâtiments pas trop hauts, mais en plus les palmiers qui portent des touches exotiques… Se laisser surprendre, oui, par tous ces moments urbains que l’on n’attend pas, tout ce qui fait la magie d’une ville. Les flous du système citadin, les mystères, les noeuds & les placettes d’une vieille cité d’Europe. Montpellier double, de surcroît: Antigone est ample, altière, elle étend ses fastes à la « Domaine des Dieux » (remember Astérix!) tout le long d’une immense perspective. Ponctuée de fontaines, adoucie d’arbres & humanisée par le marché, la mégalomanie kitsch de Ricardo Bofill se laisse vivre, finalement.

Quelle belle folie, que d’avoir ainsi oser transformer tout un pan d’une ville, de nos jours, avec une architecture qui, pour être controversable, s’affirme néanmoins sans l’habituelle médiocrité des immeubles commerciaux. Tout le contraire de la rive gauche de Lyon, cet ennuyeux étalement sans grâce ni style, juste des « boîtes » où habiter — tandis que là, c’est une vraie cité qui est née il n’y a pas si longtemps. On nous prouve même que l’apparente fascisme de cet architecture (Bofill aurait certainement beaucoup séduit le Duce!) sait se laisser mixer, sans rien perdre de sa force esthétique: la piscine s’érige comme une long bloc de verre à peine translucide, verdoyant, subtil, tandis qu’en face d’elle, la bibliothèque moins heureuse présente la face renfrognée d’un blockhaus. Son intérieur même fait froid dans le dos: noires poutrelles & grises murailles, la bibliothèques comme tombeau?

#540

Juste une chaleur, une lumière que je devine, vermillonnante à travers mes paupières. Au creux des deux oreillers, l’impression d’une présence vive, un trait solaire pour débuter la journée. Mais la radio s’allume & claironne l’ancien opium, la lénifiante litanie d’une autre Présence — zut, c’est dimanche, jour des prêches sur nos médias du matin. Les yeux péniblement ouverts, nouveau regret: le rayon de soleil a disparu, le ciel s’empile de grisaille, tandis que d’un doigt j’éteins la logorrée des cieux.

#539

Une lecture submergeante: L’Histoire de la littérature américaine (1939-1989), par Pierre-Yves Pétillon (chez Fayard, réédition récente). Pour le moment je m’étais contenté d’y picorer, hier soir j’ai commencé à le lire de manière complète, depuis le début.

Submergeante, forcément: cinquante années d’effeverscence littéraire, le sujet vous déborde, vous captive & vous engloutit, des flots & des flots de livres, tant de connaissances à absorber… Pétillon a la grâce du commentateur selon mon coeur: érudit sans être pédant, ouvert d’esprit (il connaît aussi bien la science-fiction que le reste de la littérature), équilibrant l’approche biographiste & la critique immanente, tout en sachant écrire — belle plume, l’animal! Et toujours cet élan: la volonté de convaincre le lecteur, de lui faire partager en un instantané les plaisirs de lecture & la curiosité intellectuelle. C’est également pour cela que je lis Pétillon, bien sûr: comme une leçon de ce qu’il faut faire en matière de commentaire littéraire. J’espère y apprendre, un peu plus, cet art qui me plaît tant d’une sorte de critique littéraire panoramique — ni chronique d’actualité ni analyse pointue, mais survol gourmand & éclairant d’un domaine ou d’un auteur…

Quant à la littérature américaine moderne, il s’agit finalement d’un sujet que je connais assez peu — en apprendre plus ne saurait me faire du mal.

Rien à voir: David Calvo est fou, ça on le savait. Mais à ce point? Ça promet d’être grave… 🙂