#643

En définitive, j’aurai passé cet été en compagnie de deux livres, qui convenaient parfaitement à mes humeurs de la saison. Venteux, nordiques, secoués par des moments de crise et traversés par de grandes plages de calme blanc, brûlant parfois, souvent d’un agréable froid, d’un rire toujours un peu fêlé, oscillant brièvement au bord de la perte d’équilibre mental. Des livres plein de résonnances, de ciels immenses et de bontés, de souvenirs doux-amers et de nuits lourdes, de passions hilares et de tendresses passagères. Et de corbeaux — mais ceux-là, seulement entre les pages, pas dans la vraie vie.

The Crow Road de Iain Banks et Jonathan Strange & Mr Norell de Susanna Clarke. Curieusement, juste le hasard des lectures de commande, pas même des choix, et pourtant si finement synthonisés à ma subjectivité du moment, qu’ils auront constitué le principal du versant « lecture » de ma vie estivale. D’autres livres, pourtant, ont jalonnés ces deux mois, sans même parler de celui que j’ai achevé de concevoir pour le lancement de ma maison d’édition (travail intense), et encore quelques pages pour ce polar sans fin que je ne cesse d’écrire depuis quelques années (liberté de créer)… Mais comme j’aime me laisser déborder par un bouquin, vibrer avec lui, brouiller l’espace entre les pages et la vie, prendre les mots d’auteur comme autant de respirations.

Écouter un livre comme j’écoute les autres, et comme je regarde la ville, les nuages, la lumière.

#642

Pelote de liens

>> Londres 1851, les Houses of Parliament, Tower Bridge, Crystal Palace — enfin le DA steampunk d’Otomo. J’ai hâte.

>> Le nouveau Miyazaki, aussi, mais pas encore de bande annonce.

>> Rêveries mathématiques & graphisme font parfois bon mélange.

>> Splendides photos de Californie, par mon oncle Jean.

>> Lorsqu’il n’écrit pas, mon copain Laurent chante, aussi.

>> Le deuxième album de Paatos est un peu plus « inoffensif » que le premier, mais bien beau tout de même.

>> Et à propos de marillion, une jolie idée idiote. J’aime particulièrement le Potter.

>> Suis dans les dernières pages de Jonathan Strange & Mr Norrell, fièvreusement sombres, oh bon sang, quel bouquin formidable!

#641

Slippery when wet

Chic: de la fraîcheur. Et la pluie, le ciel tourmenté, les trous de bleu entre les nuages, le ciel immense depuis les fenêtres de chez Rafu, la rumeur apaisée de la ville & les tuiles brillantes. Les avantages de l’automne en plein été.

Bouclé ces deux derniers jours le Panorama, ouf. Quel boulot de fou. Et cinq ou six mois de travail intensif qui s’achèvent, ça me fait « tout drôle », après tant d’années à rêver de ce bouquin, et tant de temps à le concevoir/écrire/réaliser. J’ai hâte de le voir, maintenant! Livraison vers le 10 septembre, en librairies vers le 20: le premier ouvrage de ma maison d’édition, oui, pour de vrai. Émotion.

#640

La fée de Chelsea (4 et fin)

Après des années de persuasion, Howell arracha à Rossetti l’accord d’ouvrir la tombe de Lizzie afin d’en retirer le recueil inédit de ses poèmes. Ce triste forfait fut réalisé durant une nuit humide d’automne, le 5 octobre 1869. À la lumière d’un grand bûcher, le cercueil fut extrait de terre et ouvert, et les témoins découvrir que les cheveux d’Elizabeth Siddal étaient toujours aussi glorieusement dorés, mais considérablement plus longs que de son vivant. Les poèmes furent récupérés et rapidement publiés — sans grand succès. Entre-temps, afin de ne pas assister à cette terrible dégradation, Rossetti était partit se retirer en Écosse, où il commença à boire l’affreux mélange d’opium et de whisky qui éteint définitivement son génie et mit une fin prématurée à son existence (il décéda en 1882). Peu de temps après l’ouverture de la tombe de Lizzie, une légende commença à courir dans les villages haut perchés de Highgate et Hampstead : le fantôme d’une jeune femme s’était mis à hanter les lieux. De nos jours encore, Highgate conserve la réputation d’être le cimetière le plus hanté de Londres, et une affaire de poltergeist défraya la chronique en 1978.

Charles Augustus Howell ne survécut qu’une poignée d’années à son ancien client, Dante Gabriel Rossetti. Un matin de 1890, son cadavre fut découvert dans le caniveau, devant un pub de Chelsea. Sa gorge avait été tranchée et une pièce d’or glissée entre ses dents. Son meurtrier ne fut jamais découvert — de fait, il ne fut pas réellement recherché : si grand fut le soulagement de la bonne société d’apprendre que le funeste individu avait enfin trouvé la mort, que Scotland Yard fut persuadé de ne pas faire preuve de trop de zèle dans la recherche d’un coupable.

L’affaire ne cessa pas là, cependant, puisqu’elle trouva à s’incarner de manière littéraire : en avril 1904, Arthur Conan Doyle publia dans The Strand une enquête de Sherlock Holmes intitulée « The Adventure of Charles Augustus Milverton » (nouvelle incluse dans le recueil Le Retour de Sherlock Holmes). Dans cette histoire, que les spécialistes datent de 1899, Holmes et Watson se trouvent convoqués à Hampstead (le village au-dessus d’Highgate), chez un célèbre maître-chanteur, Charles Augustus Milverton, qui veut employer le grand détective. Non seulement Holmes refuse-t-il ses services au crapuleux Milverton, mais encore finit-il par assister à son assassinat par une belle dame éplorée, en empêchant Watson d’intervenir. Le lendemain matin, lorsque l’inspecteur Lestrade vient voir Holmes pour lui demander de l’aider dans l’enquête sur le meurtre de Charles Augustus Milverton, Holmes refuse en expliquant qu’il s’agissait d’une mort méritée.

Quant à Elizabeth Siddal, une partie de son oeuvre fit l’objet d’un don au musée Tate Britain de Londres (spécialisé dans l’art du XIXe siècle), en 1984, et une rétrospective organisée en 1991 à la galerie Ruskin de Sheffield acheva de remettre en pleine lumière le talent de celle qui ne fut pas seulement l’une des fées du Préraphaélisme, mais aussi l’une de ses artistes.