#639

La fée de Chelsea (3)

En 1860, alors que le colérique Ruskin lui avait retiré son patronage et qu’elle était de nouveau malade, Lizzie épousa enfin Dante Gabriel Rossetti et s’installa avec lui à Londres, dans le quartier de Chelsea, qu’ils contribuèrent grandement à mettre à la mode. Ils vécurent dans une grande maison en brique au bord de la Tamise, dans une ambiance bohème, en compagnie du poète Algernon Swinburne, du romancier George Meredith, de Michael, le frère malade de Rossetti (qui en général payait les factures), et de toute une ménagerie d’animaux exotiques, tatous, wombats ou paons. Leurs voisins étaient l’historien Thomas Carlyle et le poète Leigh Hunt, leurs visiteurs avaient pour nom Browning, Dodgson, Whistler ou Wilde. On raconte même que c’est en découvrant un petit rongeur endormi dans la soupière de Rossetti, que Lewis Carroll conçu le fameux épisode du loir dans la théière du Chapelier fou, dans Alice au pays des merveilles.

Lizzie continua à peindre des aquarelles d’inspiration romantique et médiévale, aida à la décoration de la Red House de William Morris et collabora à des illustration de Georgiana Burne-Jones. Hélas, elle accoucha en 1861 d’une enfant mort-née et sombra aussitôt dans une dépression post-natale. Elle commença à prendre du laudanum (une teinture d’opium). Dans le même temps, Rossetti la trompait avec d’autres femmes. Un mois plus tard, l’autre modèle favori des Préraphaélite, Jane Morris, donna naissance à une petite fille en bonne santé, ce qui provoqua une nouvelle aggravation de la dépression de Lizzie. En 1862, alors qu’elle attendait un nouveau bébé et que Rossetti se trouvait chez sa vieille maîtresse, Fanny Cornforth, Elizabeth Siddal prit une dose beaucoup trop importante de son médicament habituel. Elle mourut le lendemain. Accident ou suicide ? Hunt détruisit-il un mot d’adieu, ainsi qu’on le prétendit parfois, ou bien Lizzie ne fut-elle que l’une des très nombreuses victimes des incertitudes du laudanum ?

Le corps de Lizzie fut inhumé au cimetière d’Highgate, au-dessus de Londres. De nombreuses personnalités y reposent, parmi lesquelles Karl Marx.

Dante Gabriel Rossetti, fou de douleur et de remord, plaça dans le cercueil de Lizzie l’unique manuscrit du recueil de poèmes qu’il venait d’achever. Il s’occupa ensuite de réunir les tableaux de Lizzie, et de photographier ses dessins et croquis, afin qu’ils ne se perdent pas. Pour autant, il n’avait plus la santé nécessaire pour promouvoir l’art de sa bien-aimée, et tandis que sa propre carrière entamait un irréversible déclin, et qu’il commençait lui aussi à prendre du laudanum, le nom d’Elizabeth Eleanor Siddal devint synonyme de muse tragique mais l’on oublia qu’elle avait été, aussi, une artiste-peintre de talent.

Rossetti fut alors forcé de prendre comme agent un individu sans scrupules, nommé Charles Augustus Howell, qu’il s’il affichait la profession de représentant artistique tirait en fait le principal de ses revenus de ses activités de maître-chanteur. C’est ainsi qu’il s’occupait aussi des affaires de Ruskin et de Swinburne, et profitait des relations de ceux-ci pour extorquer l’argent de ses chantages à une bonne partie de la bonne société londonienne.

(à suivre)

#638

La fée de Chelsea (2)

Rossetti et Siddal devinrent rapidement amants et, en 1854, lors d’un voyage à Hastings, elle eut l’occasion de se rendre aux domaine de Scalands, où résidait une autre jeune artiste, Barbara Bodichon. Là, Lizzie posa de profil avec des lys dans les cheveux, pour Dante Gabriel Rossetti, Barbara Bodichon et Anna Mary Howitt, une autre jeune femme aux aspirations artistiques. Une série de croquis témoignent encore de nos jours de cette séance de dessin.

Il n’était pas alors aisé pour des femmes de faire profession artistique : soit qu’elles dussent se débrouiller sans aucune aide, comme Anna Blunden et Elizabeth Siddal, soit qu’au contraire elles aient à affronter la réprobation familiale, comme Marie Spartali Stillman et Evelyn De Morgan. Ce n’est que peu à peu, en avançant vers la fin du siècle, que les femmes commencèrent à pouvoir accéder à une éducation supérieure et à des activités artistiques. Ainsi Kate Bunce et Eleanor Fortescue Brickdale bénéficièrent-elles du support de leur famille et de la libération des mœurs. Il n’exista pas à proprement parler une « sororité préraphaélite », mais Holman Hunt fini par reconnaître pleinement, en 1905, l’importance de l’apport féminin au mouvement préraphaélite.

En attendant, les frères Rossetti, Dante Gabriel et William Michael, ne se montraient pas insensibles aux aspirations de leurs contemporaines, et ils finirent même par faire un peu changer d’avis John Ruskin, le grand patron des arts, pourtant fort réticent quant à l’idée de femmes peintres. En 1855, Lizzie obtint son patronage et put ainsi voyager à Paris, puis à Nice où elle se rendit afin d’un peu restaurer sa santé fragile.

Sa première exposition officielle fut au sein du salon préraphaélite de Russell Place, en 1857, et l’une de ses aquarelles fut même incluse dans une exposition d’art britannique qui tourna aux Etats-Unis. En 1857-58 revint à Sheffield, où elle suivit des cours dans une école d’art, puis à Matlock dans le Derbyshire. Cependant, elle posait toujours pour les artistes de la mouvance préraphaélites, et sa longue silhouette blonde illumine de nombreux tableaux de cette époque.

(à suivre)

#637

L’orage gronde, la pluie crépite, le travail presse, et je ne vais guère avoir le temps de blogguer aujourd’hui et demain. Alors, en lieu et place, une belle légende — réelle.

La fée de Chelsea (1)

Née à Londres le 25 juillet 1829, Elizabeth Eleanor Siddal était la fille d’un simple coutelier de Sheffield. Aucun détail n’est connu sur son enfance, mais l’on sait qu’à l’âge de vingt ans Siddal travaillait comme couturière, et confectionnait des robes. Le jeune peintre Walter Deverell remarqua sa beauté et sut convaincre sa mère qu’elle pose comme modèle. « Lizzie, ainsi qu’elle était appelée, est la grande femme aux longs cheveux blonds et lisses qui est assise et dors, rêve ou peigne ses mèches dans tant des premiers dessins de Rossetti. » (Terri Windling)

En ce milieu du XIXe siècle, un groupe de sept jeunes artistes eux-mêmes âgés d’à peine la vingtaine, venait de former un mouvement qui commençait à faire scandale dans les cénacles bien pensants de l’art officiel. AU Royaume-Uni comme partout ailleurs en Europe, les canons de la peinture se trouvaient régis de sévère manière par une série de règles, de formules et d’usages pré-établis, des « formules académiques » qui définissaient ce qu’il convenait de peindre ou non, et de la façon de le faire. Et comme en France les membres de l’école de Barbizon, ou en Russie les Itinérants, ces jeunes gens se mirent à peindre sur le motif (c’est-à-dire, directement d’après nature), à bousculer l’establishment et à redécouvrir d’anciennes techniques picturales. Dante Gabriel Rossetti, William Holman Hunt et John Millais formaient le noyau dur de ce groupe d’amis, qui se baptisèrent « The Pre-Raphaelite Brotherhood » (la « fraternité préraphaélite »). Leurs oeuvres étaient signées des initiales PRB, et leur art essentiellement inspiré par la peinture ancienne d’Italie et de Flandres : l’art d’avant Raphaël. Avec des thématiques romantiques et légendaires, emplies d’une imagerie médiévale : fées, anges, saints, chevaliers et belles dames.

Elizabeth Siddal commença à poser pour Walter Deverell, puis pour ses amis Holman Hunt et Millais, avant que sa beauté tranquille attire l’attention de Rossetti. Mais sous le physique d’une jeune femme calme se cachait une volonté de fer et Rossetti, n’étant pas insensible aux capacités artistiques des femmes, contrairement à la majeure partie de ses contemporains, répondit aux aspirations picturale de Lizzie en lui donnant quelques cours de dessin à partir de 1952. D’abord naïf et maladroit, le style de Lizzie Siddal prit rapidement de l’assurance et ses croquis de 1854 (exposés de nos jours à l’Asmolean Museum d’Oxford) témoignent de son talent. Hélas, ils témoignent également de son manque de moyens financiers : il s’agit de dessins de petite taille, tout comme ses tableaux suivants.

Lizzie était une jeune femme de santé instable, peut-être anorexique, en tout cas à la fois intense et dépressive, souvent malade. Tout le monde ne compatissait pourtant pas à sa fragilité et, en 1852, Millais la fit poser durant plusieurs heures, toute habillée, dans une baignoire pleine d’eau froide. Le tableau qui en résulta est l’un des indiscutables chefs-d’oeuvre du Préraphaélisme, « Ophelia », mais Lizzie tomba gravement malade suite à cette épreuve. À la même époque, Christina Rossetti, soeur de Dante Gabriel, rédigea une ode à la beauté de Lizzie, « In An Artist’s Studio », où elle la compare à un saint ou un ange, claire comme une lune et joyeuse comme la lumière.

(à suivre)

#636

C’est dingue, quand j’y pense: six mois que je travaille d’arrache-pied sur le Panorama illustré de la fantasy & du merveilleux.

Et non seulement six mois, mais combien d’années de lecture, de recherche, d’écriture d’articles? L’ouvrage part jeudi chez l’imprimeur, et une page massive se tourne.

Non pas que j’entende cesser là mes recherches sur le merveilleux: j’ai déjà trois « petits maîtres » en chantier pour la revue Faeries, un article à terminer pour un bouquin de chez Autrement, une conférence à rédiger pour le colloque de Nice… Mais tout de même, ainsi le principal est fait. J’y rêvais depuis très longtemps, à ce Panorama illustré de la fantasy & du merveilleux. Déjà à l’époque de Cartographie du merveilleux: Gilles Dumay, sachant que je songeais à un gros pavé sur la fantasy, un peu du genre de l’histoire de la SF par Sadoul, m’avait proposé d’en faire d’ores et déjà une sorte de résumé, une version « petit guide ».

Tiens, hier soir j’ai revu Brisby & le secret de Nimh, admirable petit joyau d’animation. Et en achetant un loukhoum à l’épicerie arabe, j’ai repensé automatiquement à cette scène du début du Lion et la Sorcière blanche de C.S. Lewis, lorsqu’Edmund trahit sa famille pour un turkish delight… Gravement contaminé au merveilleux, je suis!

#635

Distractions estivales…

Vu le deuxième film d’Harry Potter. Je n’ai pas vu le premier & n’en ai pas spécialement envie, mais puisqu’on m’avait prêté celui-ci… Et en définitive je ne regrette pas: sympa. Pas génial, mais bien fichu, fidèle, amusant comme tout. Un divertissement pas bête, qui restitue agréablement la magie des livres de J.K. Rowling.

Vu aussi La Prophétie des grenouilles, un beau dessin animé français, pour les petits. Vraiment pour les petits: limite chiant pour les grands, par endroits. Mais ni sot ni gnangnan, un scénario plutôt fûté. Enfin, je vais l’offrir à ma filleule, que je néglige beaucoup trop. Et puis c’était joli & rigolo, ça ressemble à des dessins de Rémi Courgeon qui bougeraient, c’est chouette.