L’orage gronde, la pluie crépite, le travail presse, et je ne vais guère avoir le temps de blogguer aujourd’hui et demain. Alors, en lieu et place, une belle légende — réelle.
La fée de Chelsea (1)
Née à Londres le 25 juillet 1829, Elizabeth Eleanor Siddal était la fille d’un simple coutelier de Sheffield. Aucun détail n’est connu sur son enfance, mais l’on sait qu’à l’âge de vingt ans Siddal travaillait comme couturière, et confectionnait des robes. Le jeune peintre Walter Deverell remarqua sa beauté et sut convaincre sa mère qu’elle pose comme modèle. « Lizzie, ainsi qu’elle était appelée, est la grande femme aux longs cheveux blonds et lisses qui est assise et dors, rêve ou peigne ses mèches dans tant des premiers dessins de Rossetti. » (Terri Windling)
En ce milieu du XIXe siècle, un groupe de sept jeunes artistes eux-mêmes âgés d’à peine la vingtaine, venait de former un mouvement qui commençait à faire scandale dans les cénacles bien pensants de l’art officiel. AU Royaume-Uni comme partout ailleurs en Europe, les canons de la peinture se trouvaient régis de sévère manière par une série de règles, de formules et d’usages pré-établis, des « formules académiques » qui définissaient ce qu’il convenait de peindre ou non, et de la façon de le faire. Et comme en France les membres de l’école de Barbizon, ou en Russie les Itinérants, ces jeunes gens se mirent à peindre sur le motif (c’est-à-dire, directement d’après nature), à bousculer l’establishment et à redécouvrir d’anciennes techniques picturales. Dante Gabriel Rossetti, William Holman Hunt et John Millais formaient le noyau dur de ce groupe d’amis, qui se baptisèrent « The Pre-Raphaelite Brotherhood » (la « fraternité préraphaélite »). Leurs oeuvres étaient signées des initiales PRB, et leur art essentiellement inspiré par la peinture ancienne d’Italie et de Flandres : l’art d’avant Raphaël. Avec des thématiques romantiques et légendaires, emplies d’une imagerie médiévale : fées, anges, saints, chevaliers et belles dames.
Elizabeth Siddal commença à poser pour Walter Deverell, puis pour ses amis Holman Hunt et Millais, avant que sa beauté tranquille attire l’attention de Rossetti. Mais sous le physique d’une jeune femme calme se cachait une volonté de fer et Rossetti, n’étant pas insensible aux capacités artistiques des femmes, contrairement à la majeure partie de ses contemporains, répondit aux aspirations picturale de Lizzie en lui donnant quelques cours de dessin à partir de 1952. D’abord naïf et maladroit, le style de Lizzie Siddal prit rapidement de l’assurance et ses croquis de 1854 (exposés de nos jours à l’Asmolean Museum d’Oxford) témoignent de son talent. Hélas, ils témoignent également de son manque de moyens financiers : il s’agit de dessins de petite taille, tout comme ses tableaux suivants.
Lizzie était une jeune femme de santé instable, peut-être anorexique, en tout cas à la fois intense et dépressive, souvent malade. Tout le monde ne compatissait pourtant pas à sa fragilité et, en 1852, Millais la fit poser durant plusieurs heures, toute habillée, dans une baignoire pleine d’eau froide. Le tableau qui en résulta est l’un des indiscutables chefs-d’oeuvre du Préraphaélisme, « Ophelia », mais Lizzie tomba gravement malade suite à cette épreuve. À la même époque, Christina Rossetti, soeur de Dante Gabriel, rédigea une ode à la beauté de Lizzie, « In An Artist’s Studio », où elle la compare à un saint ou un ange, claire comme une lune et joyeuse comme la lumière.
(à suivre)