Trois fois déjà, j’avais eu l’occasion de me rendre à Montpellier. Mais c’était il y a de nombreuses années & entre ma mémoire excécrable & les changements de la ville… Car la première fois, si j’y étais demeuré plus d’une semaine, c’était bien avant les grands travaux de Georges Frêche & Ricardo Bofill. À l’époque, la municipalité était communiste, des mini-bus gratuits circulaient dans la ville & l’immobilier faisait la noire mine d’une cité polluée & jamais nettoyée. Montpellier offrait alors au visiteur le visage pittoresque mais fatigué d’une petite ville en déreliction, d’un charme fanné.
Mon deuxième séjour n’avait été que d’un jour ou deux, pour une convention de science-fiction à laquelle je n’avais fait que passer brièvement. La ville changeait, aux portes de la Comédie poussait une architecture étrange, quasi gréco-romaine dans sa prétention: Antigone. Mes parents habitant Cergy-Pontoise, je me trouvais déjà familier des travaux de Ricardo Bofill. Arrivé tard dans la nuit, je me baladais au milieu des colonnes toutes neuves de Bofill lorsque sur une place en demi-lune, une fête estudiantine en rez-de-chaussée avait déversée ses flonflons & ses rires. Happé par un garçon avenant, j’avais fait la curieuse expérience de m’incruster dans une fête où je ne connaissais personne. Amitiés impromptues & complicités superficielles d’une nuit, beuveries & bisous, souvenir ébloui & ravi, un conte de fée moderne.
La troisième fois, je ne fis que passer: un embouteillage alors que nous descendions en voiture vers Lodève. Juste le temps de distinguer quelques palmiers, quelques maisons basses comme je les aime & de voir que là aussi les travaux d’un tramway défonçait les artères, comme à Lyon au même moment.
Cette fois, quatrième donc, j’y fus pour deux jours. Deux baguenaudes, alors, afin de me laisser surprendre par la pierre blonde, les colonnes anciennes ou faussement anciennes, les arcs de triomphe, les perspectives basculantes d’un niveau à l’autre, les rues qui se transforment en escaliers, les artères étroites pleines de commerces, l’église Sainte-Anne aux arrêtes triomphales, les espaces & les respirations… Montpellier me rappelle Bordeaux, de la couleur de sa pierre à ses bâtiments pas trop hauts, mais en plus les palmiers qui portent des touches exotiques… Se laisser surprendre, oui, par tous ces moments urbains que l’on n’attend pas, tout ce qui fait la magie d’une ville. Les flous du système citadin, les mystères, les noeuds & les placettes d’une vieille cité d’Europe. Montpellier double, de surcroît: Antigone est ample, altière, elle étend ses fastes à la « Domaine des Dieux » (remember Astérix!) tout le long d’une immense perspective. Ponctuée de fontaines, adoucie d’arbres & humanisée par le marché, la mégalomanie kitsch de Ricardo Bofill se laisse vivre, finalement.
Quelle belle folie, que d’avoir ainsi oser transformer tout un pan d’une ville, de nos jours, avec une architecture qui, pour être controversable, s’affirme néanmoins sans l’habituelle médiocrité des immeubles commerciaux. Tout le contraire de la rive gauche de Lyon, cet ennuyeux étalement sans grâce ni style, juste des « boîtes » où habiter — tandis que là, c’est une vraie cité qui est née il n’y a pas si longtemps. On nous prouve même que l’apparente fascisme de cet architecture (Bofill aurait certainement beaucoup séduit le Duce!) sait se laisser mixer, sans rien perdre de sa force esthétique: la piscine s’érige comme une long bloc de verre à peine translucide, verdoyant, subtil, tandis qu’en face d’elle, la bibliothèque moins heureuse présente la face renfrognée d’un blockhaus. Son intérieur même fait froid dans le dos: noires poutrelles & grises murailles, la bibliothèques comme tombeau?