#558

« En cas de tempête, les parcs seront fermés » — Paris, noté le lundi 5 avril:

Hier, matinée d’écriture intensive, je me sentais en harmonie avec le monde, la lumière du soleil coulait à flots caressant par les larges fenêtres. Un accoprd existentiel fugace, qu’il faut vite saisir, écrire avec le bonheur au cœur & le style qui file vite-vite sur le papier.

Vers 15h Johnny a eu envie de sortir se balader, je l’ai donc accompagné. Institut du Monde Arabe: un puits vertigineux par le jeu des droites, des câbles, des poutres, tout un enchevêtrement vertical d’une haute technologie sombre, oppressante. L’ascenceur transparent file vers le sommet & je crois me trouver dans une scène de l’Armée des 12 singes. Panorama somptueux depuis la terasse, examen rapproché des moucharabiehs mécaniques (fonctionnent-ils encore?) & de leurs arabesques d’ombre & de lumière sur le sol, puis nous replongeons à bord d’une cage de verre.

Jussieu en ruines, le Jardin des plantes en fleurs. Belle idée que d’être venu à Paris en ce début de printemps! Un géant de cerisier du Japon tort ses gros doigts noirs & tend ses bras anguleux sous la coupole légère de ses milliers de fleurs blanches. Jean photographie des fleurs, gros plan, rouges, roses, blanches, ivoires… Un petit tour par les arènes de Lutèce puis nous dérivons à pas nonchalant autour & en-dessous du panthéon. Halte patisserie tunisienne puis limonade grand luxe, avant de rentrer toujours à pas lent. Le ciel tumultueux fut beau, réellement: non pas bleu franc, ennuyeux de monotonie, mais emplit d’épais nuages, de volutes grises ou blanches, de torqades noires é de bonheurs bleus. Un ciel du nord, mouvementé, toujours en événement.

Aujourd’hui: expo « Perret, la poétique du béton », à la Porte Dorée. Les ateliers d’Auguste & Gustave Perret, l’obsession des tours, le béton sculpté, la reconstruction du Havre… Et toujours, malgré la beauté plastique des projets présentés, la tristesse des résultats, une architecture années 1950 trop souvent imitée, trop souvent médiocrisée, j’ai beaucoup de difficulté à considérer même les plus belles réalisations des fifties (Le Havre de Perret, mais aussi Royan, par exemple, sur laquelle j’ai feuilleté l’autre jour un bel album). Le béton s’enlaidit si vite & les droites gracieuses ennuient tant, en définitive… Perret génial, sans doute, mais j’hésite entre admiration & irritation.

Mon intérêt pour Perret demeure purement intellectuel, tandis que je trouve un vrai plaisir à considérer fresques & bas-reliefs du Palais des Colonies lui-même, folie années 1930 à l’irrésistible kitsch exotique. À gauche de la porte, c’est Bordeaux qu’on célèbre: St André, la porte Calhau, la Garonne, les grappes de raisin autour d’une figure féminine assez voluptueuse.

En bas des marches grises, les palmiers grelotent. Passent des chevaux pomponnés, porteurs de soldats, brillants & empanachés. Sans doute se dirigent-ils vers les Champs-Élysées, où Elizabeth II doit venir cet après-midi. Frissonnant, je rentre de nouveau, descend voir les aquariums. Humeur maussade comme le temps, des bourrasques de solitude: l’enivrement de savoir toute une ville libre pour les exploration cède le pas devant l’envers du regard-roi. Il en va toujours ainsi, n’être qu’une caméra me glace peu à peu… Au fil des jours de voyage, l’excitation initiale d’une promenade urbaine se macule insidieusement d’une vague lourdeur, d’une tension née de l’éternel exil en soi-même. « Je manque de soleil », s’agite le poisson des profondeurs.

Pigalle avant de rentrer à Lyon: je voulais voir l’expo Rouart au musée de la vie romantique. Las, contrairement à la majorité des musées, celui-ci ferme le lundi & non le mardi. Too bad. Enfin, puisque je suis dans les parages autant retourner à pied chez Johnny, ce sera l’occasion de grimper Montmartre. Je me fais rire tout seul: la rue Lepic, il faut que je vois la rue Lepic, bon sang mais c’est bien sûr! Ignorants des « Nuls », passez votre chemin: Jean Meyrand, l’artisan de la chanson française!?Non? Si: la rue Lepic, donc, en escaladant la colline par le côté. Avant que de redégringoler ensuite par les immenses volées de marches. Fin de séjour, le vent est froid, le ciel est blanc.

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