#765

Je ne sais s’il était paru depuis longtemps, mais je viens juste de trouver un album de bédé par un dessinateur que j’aime beaucoup, Jean-Philippe Peyraud. La Bouche sèche (chez Treize étrange). Coïncidence, je l’ai lu alors que des tangos de Piazzolla tournaient dans la chaîne. Jolie adéquation.

En dix nouvelles, Peyraud livre de ces petits instantanés d’existence qui font également la force d’un Adrian Tomine, par exemple. Sauf que Peyraud ne se livre pas à la cruauté ultra-moderne, sa touche à lui c’est une tendresse, une mélancolie, et par moment un peu de couleur: quelque part entre Marquet et Matisse, dans des décors du Paris actuel — ses bédés feront de beaux portraits ethno-historiques, plus tard. Tout de suite, c’est également d’une forme d’anthropologie qu’il s’agit, celle des sentiments ordinaires, des petits riens qui sont comme autant de fêlures quotidiennes. Des tranches de vie allant du touchant (ma favorite, « Quand tu dors la nuit ») au glaçant (la suivante), en passant généralement par un léger spleen. C’est tout un art du pincement de coeur.

#764

André content: une bien bonne chronique d’Acide organique, sur le site ActuSF — la chroniqueuse a tout compris, même et y compris le très fort lien de ce recueil à la musique. Je pense qu’il faut vraiment être un fondu de zik, pour bien l’apprécier à fond. Outre Kate Bush bien sûr, il y a chez Calvo tant de Boards of Canada, de marillion, de Talk Talk, de Shelleyan Orphan, et encore plein et plein d’autres musiques, et puis bien entendu la forte influence du slam…

#763

Listenin’ to the pouring rain
waiting for the world to change.
(marillion)

Un refrain terriblement anglais, celui-là.

Et je me demande combien de fois les mots « pouring rain » reviennent dans la pop-rock?

#762

Au bout d’un moment, mon sens du goût s’émousse et c’est pourquoi je dois changer régulièrement de thé. Pourtant, je reviens toujours à mon favori: le tarry souchong. Un thé noir chinois très fumé. Selon certains béotiens, il s’agirait d’un « thé au hareng » (mon père), ou d’un « thé au cochon » (mon coloc). Mais, comme dirait Nero Wolfe: pfui. Ils n’y connaissent rien. La saveur, le bouquet de ce thé sont sans pareils, pour moi ils sont la douceur même du thé, à la fois charnu et d’un sombre parfum.

#761

Arrêtez-moi si je sors des banalités, mais… Pourquoi somme-nous si attaché à ce qu’une histoire « se termine bien »? Il n’y a pas de happy ending dans la réalité: en fin de compte, nous mourrons tous. Est-ce que raconter des histoires est une manière de réinventer l’ordre naturel, en lui forgeant une fin heureuse? Flaubert pour sa part avait fait en sorte d’allier le « racontage d’histoire » avec un véritable réalisme, dans Madame Bovary, puisqu’on y suit les personnages principaux jusqu’à leur mort.

Admettons cependant que Madame Bovary, pour esthétique et bouleversante qu’elle soit, n’est pas exactement ce que j’appellerai une « bonne histoire »… Tandis que le camarade Calvo, lui, dans son recueil Acide organique, me semble somme toute trouver une belle manière de jouer le jeu de la fiction tout en ne conduisant pas le processus du happy ending: il met en scène des tournants de vies, les rend totalement subjectifs et ne tranche ni ne juge, ne conclut pas puisque la vie demeure ouverte. « La bêtise consiste à conclure », affirmait Flaubert.

Nous sommes bien obligé d’apprécier l’existence au temps présent, instant par instant, il faut s’efforcer de profiter des instants heureux car construire des projets est essentiellement un leurre: tout ce que nous faisons peut toujours être interrompu, à tout instant, par notre propre mort ou par celle des autres. La semaine dernière j’ai récupéré un copain aux urgences — rien de grave, heureusement. Aujourd’hui, je vais aller voir un autre copain, opéré d’urgence pour une thrombose — ça semble aller, heureusement. Mais qui sait si demain? J’ai tendance à souvent me dire « car rien n’a d’importance » — mais si: savourer le moment. Oui, je sais, ce sont des banalités.