Lu: King of the City de Michael Moorcock.
Autant le déclarer d’emblée: en fait de « suite » à Mother London, il me semble que Michael moorcock n’a livré avec ce roman qu’une sorte de pavé en roue libre où la trace de son précédent opus ne se lit guère, ni dans les protagonistes ni dans les situations, et où même la ville de Londres, censée être l’héroïne principale de ces deux volumes, n’a pas une présence particulièrement prégnante. En fait, à avancer dans ce texte dense et excentrique, j’ai plutôt eu l’impression d’avoir afaire à la version Moorcock d’une certaine littérature britannique contemporaine que l’auteur admire particulièrement: il y a là dedans énormément de Iain Sinclair et sans doute aussi une louche ou deux de Steven Aylett.
Le résultat? Une logorrhée torrentueuse, un fleuve de mots qui ne font sens qu’au bout d’un certain temps d’immersion dans cette prose particulière (j’ai songé à l’effet lexicale d’un Samuel Delany, aussi), et qui ne parleront sans doute qu’au lecteur particulièrement familier d’une certaine culture anglaise populaire des années 60/70: depuis le space-rock à la Hawkwind (car ce roman est largement autobiographique et l’auteur/narrateur nous raconte donc moult péripéties du groupe Deep Fix et de ses petits camarades, des musiciens aussi obscurs que Simon House, par exemple) jusqu’à la presse tabloïde, en passant par la presse rock, New World, des tonnes d’artistes branchouilles à la célébrité toute relative, des quintaux de références britanico-britanniques, et le tout généralement crypté sous forme d’abréviations, surnoms et quolibets divers. Ce qui vaut pour les personnages croisés valant d’ailleurs aussi pour les références géographiques, historiques ou même pour des bouts de phrases (genre « Life goes on. Obladi. Oblada. »)
L’histoire, Oh oui, il y a bien une histoire – plus ou moins. Celle d’une famille compliquée, incarnant visiblement le destin dérisoire du peuple londonien depuis les sixties: le narrateur, quoique empruntant largement à Moorcock himself, est ici un photographe de presse (qui selon les époques et sous divers pseudo a tout fait, des zines undergrounds aux journaux à scandale, en passant par les photos de célébrités rock et la photographie de guerre pour de grands supports) doublé d’un guitariste de rock (très peu connu mais ayant gratouillé avec Deep Fix et croisé plein de célébrités). Il est amoureux de sa cousine, avec qui il a fait autrefois les cent coups, a beaucoup fait l’amour, et qui aujroud’hui ne veut plus trop le voir, préférent bosser pour des ONG. Son cousin Johnny Begg alias Lord Barbicane était un gamin genre premier de la classe, coincé et ennuyeux, qui se fit adopter par une des plus grosses fortunes de la planète, et hérita du titre à la mort de son bienfaiteur, avant de devenir une sorte de super-Bill Gates encore plus friqué et verreux.
Barbicane est censé être mort, noyé, mais en fait il a organisé sa propre disparition en s’envoit en l’air en cachette avec les grands de ce monde — ce que découvre le narrateur dans l’épique scène d’ouverture du roman, d’un kitsch digne de James Bond ou de… Jerry Cornélius. Le photographe mitraille donc son cousin en train de copuler avec une riche douairière, mais à son retour à Londres gros problèmes: primo Lady Di vient de s’enrouler sous le pont de l’Alma, ce qui jette un discrédit bref mais violent sur les paparazzi, et secundo personne ne le croit!
Notre photographe maudit nous raconte alors toute sa vie et celle de sa famille, issue du quartier pauvre de Brookgate. Et le roman de se complaire dans l’exposition en cinq longs paragraphes de ce qui pourrait tenir en un seul, et de suivre les errances un peu pathétique de son narrateur dans une société considérée avec un regard si bigrement seventies qu’avec les nombreux flash-backs, on se demande parfois de quelle époque il parle… C’est plein de losers attachants, de pédés vieillissants, d’ex rockeurs névrosés, de junkies flamboyants, de souvenirs d’autres déjà morts, de méchancetés sur Tolkien et sur Thatcher, etc etc. Bref: amusant, intelligent, souvent brillant, ça brasse, ça brasse, mais… Si le succès de ce roman est parfaitement compréhensible dans un cadre strictement britannique, sa nature pico-culturelle, si j’ose écrire, le rend aussi peu universel que si un Parisien s’amusait à rédiger un roman-fleuve sur les vertes années et les flétrissures d’un certain milieu germano-pratin.
Ca a l’air bien, malgré tes réserves. JE dirai même que tes réserves augmentent l’attrait pour le bouquin en fait. Autant je n’ai rien à faire du milieu parisien autant celui que tu décris là m’intéresse…