Lu: Les voitures volantes – Souvenirs d’un futur rêvé.
On nous l’avait prédit, maint et maint fois : en l’an 2000, chacun voyagerait dans des voitures volantes. Hélas, cinq années plus tard, nous ne voyons toujours pas le moindre de ces libres véhicules sillonner nos cieux, tandis que leurs tristes équivalents routiers flambent au bord du trottoir… Que c’est-il donc passé, qu’est-il advenu de cet avenir radieux? L’auteur du bel ouvrage récemment publié chez l’éditeur suisse Favre se propose de nous présenter « une époque dont le futur n’état pas notre présent » — jolie formule, réellement, qui outre qu’elle clôt une introduction superbement rédigée dans un style digne des meilleurs livres d’histoire de l’art, résume me semble-t-il assez bien le sentiment de vertige de l’imagination et de doute sur le réel qui s’est bien souvent emparé de moi à la lecture de ces pages.
Car si elle est née dans la littérature de science-fiction et dans les illustrations qui l’accompagnait, l’idée d’un appareil volant combinant les avantages de l’automobile à ceux de l’avion, a ceci d’étonnant qu’elle est très vite passée dans le domaine du réel. Patrick J. Gyger, actuel conservateur de la Maison d’Ailleurs (le musée de la science-fiction, à Yverdon, en Suisse — une exposition s’est tenue en parallèle de la sortie du livre), se trouvait certainement en idéale situation pour ainsi explorer un concept tenant tout autant du fantasme science-fictif que de la réalisation industrielle (on notera de plus que l’écrivain et grand érudit de la SF Francis Valéry est crédité d’une collaboration à cet ouvrage — en vérité l’essentiel du travail stylistique et cela se voit). Et rarement il nous aura été donné à aller et venir avec autant de talent et de pertinence entre l’histoire de l’esthétique, de la littérature, de l’industrie et de la technologie. En fait, je ne vois guère que le catalogue Scènes de la vie future (sur l’architecture européenne et la tentation de l’Amérique de 1893 à 1960), publié par Jean-Louis Cohen chez Flammarion en 1995, a avoir déjà réussit pareil exercice d’érudition.
Qu’il soit rendu grâce à Gyger et Valéry de nous permettre d’allier des documentations techniques précises aux rêves des images les plus folles, la naïveté des aluminiums fuselés et des lignes futuristes kitsch. Combien d’uchronies pourraient naître de ces pages? Car s’il y a bien une chose qui m’a particulièrement frappé, c’est l’ironique paradoxe des vices du système capitaliste exposé dans les déboires et échecs même des projets les plus avancés des voitures volantes. Chaque fois, il se trouve des actionnaires avides pour saborder le projet par appât du gain rapide, des industriels pressés d’enterrer une invention pour cause de courte vision, des administrations pour interdire une technologie trop nouvelle pour leurs paperasses… Si nulle aerobile, aucune convair, zéro skycar ne survole nos cités, c’est semble-t-il parce que le libéralisme à l’américaine ne permettait pas un tel saut conceptuel et commercial.
Trop rares sont les livres qui, dans le domaine des littératures de l’imaginaire, sortent des sentiers battus et rebattus du format roman: il semblerait que nos éditeurs soient frileux, terriblement conservateurs dès qu’il s’agit d’esthétique. C’est aussi pour cela qu’il convient de louer des initiatives telle que les grands romans de chez La Volte ou ce beau-livre publié sous l’égide de Favre. L’œil se réjouit, le texte se déroule, la nostalgie monte des pages.
Mouais.
Heureusement que la voiture volante n’a pas vu le jour, l’application pratique aurait vite tourné au cauchemar ingérable. La circulation aérienne d’un trafic aérien strictement réservé aux avions exige déjà une logistique pointue et complexe. En laissant les véhicules personnels échapper à la pesanteur, on s’expose à vite retrouver une épave à travers chaque toit, un petit 11-septembre par jour…