#1224

Paris, suite.

Vendredi matin, Jean me réveille en toquant à la porte vitrée. Je pars en même temps que lui, pour me rendre au Musée du Luxembourg: de même que je lui avais avoué la veille mon incompréhension des nouvelles de Raymond Carver, s’étonne-t-il que je puisse m’intéresser à une expo de bijoux Art Nouveau (René Lalique). Ma foi, force est de econnaître que j’estime chaque fois que ce musée est à la fois trop cher et trop petit, mais que j’y reviens souvent. Un peu trop de monde à mon goût dans les salles exigues. Fascination cependant pour ces bijoux où se tordent chauves-souris, libellules et poissons. Avec en prime une petite toile réaliste de Mondrian, deux Gustave Moreau et quelques livres et affiches.

Au sortir du Luxembourg et en attendant mon RDV suivant, je m’assied place St Sulpice pour rédiger ces lignes dans l’un des petits « note book » offert par Xavier Mauméjean. Le vacarme liquide de la fontaine couvre le ronflement de la circulation. Un étudiant rouquin esquisse quelques passes de rugby avec des copains. La tour endrappée de blanc de l’église, et la grue orange qui la flaque, confèrent un petit air de Cape Canaveral à cette si littéraire placette. Passe Daniel Gélin, cheveux blancs et traits fatigués. La cloche sonne les 13h. Je pars déjeuner avec Seb Guillot. Après cela, mon dernier RDV s’étant décommandé, je file sur un coup de tête au Msuée d’Orsay: il me reste une entrée gratuite, donné par une copine… qui de toute manière me fait elle-même entrer, le hasard voulant qu’elle se trouve à ce moment de contrôle à l’entrée près des vestiaires. Je ne savais trop ce que proposait le musée, certain d’y trouver mon compte comme d’habitude. Ce fut le cas: Bastien-Lepage – Fontainebleau – Pierre & Gille, etc.

Je me souviens que, lisant lorsque j’étais étudiant le premier roman d’Elvire Murail (aujourd’hui devenue Moka), « Escalier C », je demeurai sceptique sur la scène où le peintre bourru se laisse subjuguer par un tableau — un Vermeer, je crois. Je pensais qu’il s’agissait d’une license poétique, d’une exagréation littéraire. Depuis, j’ai découvert cette forme de sidération, que je pouvais moi aussi me faire « happer » par un tableau. Cela se fait généralement par surprise: l’expo de Bastien-Lepage est plaisante mais je ne voyais rien que d’assez mineur dans cette peinture léchée, ces portraits et scènes de rue ou de paysannerie. Sauf qu’au détour d’une paroi, presque caché derrière un pilier, une petite vue des toits parisiens depuis la fenêtre de l’atelier de l’artiste, me captiva absolument. D’une modernité complète, lumineuse et trouble comme le meilleur d’un Hopper ou d’un Feyninger… Juste une esquisse vite jetée? Pourtant je sentis se diffuser dans ma poitrine ce bonheur visuel particulier qui, du plexus solaire, m’irradie complètement face à un tableau qui « me parle ». Et les yeux qui vont et viennent. Et les pieds en fonte, incapable de me mouvoir. J’adore cela. Qu’est-ce qui poussa Bastien-Lepage a se livrer ainsi à telle pochade (au sens de « croquis en couleur exécuté en quelques coups de pinceau »), quel impérieux coup de foudre visuel donna naissance à une toile ni dans le ton du peintre ni dans les sujets admis à son époque?

Comme je me promenais dans l’expo sur les peintres de Fontainebleau, plus intéressé de manière disons histoirqiue, qu’esthétique, par ce complément à une autre expo sur l’école de Barbizon vue à La Haye et à ma récente relecture partielle d’ « Une forêt pour les dimanche » (le génial essai de Jean Borie sur les écrivains et Fontainebleau), bref: séduit mais pas passionné, je tombai sur deuxième coup de foudre visuel. Un Cézanne enneigé dont les branches bleues se tordent de fascinante manière. Belles émotions pour clore une escapade lutécienne.

6 réflexions sur « #1224 »

  1. Incompréhension de Carver?
    Tu voulais dire autre chose, hein?
    On peut leur reprocher ce qu’on veut à ses textes, mais sans doute pas d’être incompréhensibles…

  2. Je peux comprendre. Perso, j’adore, mais j’aurais du mal à expliquer pourquoi. Il y a un côté ésotérique, dans la réception que l’on peut avoir de ses textes…

  3. Etonnant de ne pas comprendre l’intérêt du travail de CArver. J’avoue moi aussi ne pas comprendre cette incompréhension. Les situations ciselées, pitoyables et troublantes touchantes… rien que la précision de son écriture me renverse.
    Je ne suis pas un bon défenseur, peut être que « Short Cut » de Altman pourrait t »exposer le gout qu’il y a à lire Carver.

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