#1383


Venezia jan 08 / 5

Tout en mettant au propre mes dernières notes sur Venise, je réécoute les albums de Gianmaria Testa. Question d’ambiance.

Mais de ce voyage, il ne me reste qu’à évoquer deux musées — non, trois. Le premier, c’est le Palais des Doges (nommé « palais des ducs » en italien, d’ailleurs), avec son immense salle d’apparat aux cartes du XVIe siècle. Isa et moi passâmes un long moment à les admirer, nous en amuser, les déchiffrer… Certaines placent le Sud en haut, d’autres regroupent plusieurs pays « découverts » par des Vénitiens (m’est avis que les Norvégiens ne furent pas très impressionnés par leur propre découverte), enfin, la plus intrigante brosse un portrait fort étrange et déformé de la Russie, de l’Inde et de la Chine, avec en prime quatre taches pour figurer un Japon encore obscur puis, un peu plus loin, une Californie qui semble être constituée par un fantasme de Mexique acouplé à une vague idée de Baja California… Et au-delà: des terrae incognitae, « là où sont les sauvages anthropophages ». Sympa pour les Amérindiens! Las: l’art du merchandising semble à peu près inconnu, dans une Venise pourtant bondée de plus de 40 000 touristes ce week-end. On ne nous propose donc aucune reproduction de ces cartes, dommage.

Deuxième musée: la collection Peggy Guggenheim. Sans pitié, je traînai ma compagne de voyage en cet antre de l’art cubiste, surréaliste et expressionniste abstrait. Je tombai en arrêt devant un Boscioni pourtant assez quelconque vu de loin. Appréciai l’aspect étonnament « bédé » d’un De Chirico et d’un Magritte. M’extasiai, surtout, devant une collection secondaire, d’art moderne italien. Contrairement à mon habitude, je n’ai pas pris de notes sur place, je ne me souviens donc hélas plus du nom de ce jeune peintre vénétien, amoureux des grands aplats bleus, et qui fut interné pour folie à partir de 1926.

Le troisième musée, je failli bien ne pas m’y rendre: mon guide tout neuf le disait fermé les dimanche et lundi. Tu parles: le Ca’ Pesaro était grand ouvert en ce dimanche, bien entendu. Bien m’en pris d’aller vérifier. Car, pour 3 euros d’entrée, quelle collection splendide! Au fond d’une cour, cachée elle-même au fond d’une ruelle en bord d’eau, le Ca’ Pesaro est un superbe palais qui, sur deux étages, expose des donations d’art moderne. Et quelles donations: des choix avisés de collectionneurs ausi riches qu’avisés. Mais tout d’abord, en bas, une expo temporaire. « Figures parisiennes du début du XXe siècle ». Yep, il est terriblement snob d’aller admirer de l’art parisien dans un musée vénitien, je vous l’accorde. Mais c’était le hasard: une expo sur le dessinateur Edgar Chahine (1874-1947). Arménien, fils d’un banquier d’Istanbul, il s’installe à Paris en 1895 et abandonne la peinture pour la gravure, devenant alors un illustrateur rès demandé. Chahine fut à la mode entre 1900 et 1926. Le musée Ca’ Pesaro exposait lithos et originaux, de toute beauté: portraits de figures mondaines, scènes de cirque, visions de la vie du petit peuple. Pris sur le vif, des aspects parisiens que le temps a rendu d’un exotisme étonnant.

À l’étage, trois grandes salles de tableaux, et deux petits de sculptures, pour une sorte de parcours idéal dans l’art moderne: un seul tableau de chaque artiste, mais tous d’un choix exquis. On débute par une vue impresionniste de la place Saint-Marc, noyée dans une brume dorée, et ensuite… eh bien, de Gustav Klimt à Ben Nicholson, en passant par Picasso, Clifford Still, Raoul Dufy ou Carl Larson (première fois que je vois une toile de ce peintre danois, j’étais tout fier de le reconnaître au premier regard)… Un bonheur complet. Seul bémol: aucune repro, une fois encore. Là où à Londres on trouve chaque fois un mur de cartes postales (sans parler des mugs et tee-shirts), à Venise rien de rien, même le catalogue du Ca’ Pesaro ne propose que des photos bien trop petites pour être intéressantes.

9 réflexions sur « #1383 »

  1. Che cosa è questo?
    Doge, en vénitien doxe, latinus est dux et en français… « duc »…
    Ne serait-ce pas plutôt « palais des doges » qui serait une étrange traduction, quand on y pense ? 😉

  2. A propos des planisphères vénitiens du XVI° siècle, un bouquin récemment sorti en France présente des hypothèses intéressantes (quoiqu’à prendre avec précautions). Il s’agit de « 1421, l’année où la Chine a découvert l’Amérique », de Gavin Menzies (éditions Intervalles). Menzies est un ancien officier de la Royal Navy qui a été frappé, comme toi, par la présence sur des portulans Renaissance de certaines terres à une époque où nul Européen n’y avait encore débarqué. Il a retrouvé les traces d’une grande expédition maritime chinoise, ordonnée par le deuxième empereur de la dynastie Ming, Zhu Di, qui aurait peut-être fait le tour du monde au début du XV° siècle. Les cartes chinoises auraient été recopiées ensuite par des voyageurs occidentaux en Orient… en particulier par un marchand vénitien, Niccolo de Conti, qui a voyagé jusqu’à Calicut dans la première moitié du XV° siècle. Cela permet de comprendre pourquoi les Antilles figurent déjà sur des cartes portugaises du XV° siècle, et une partie du littoral de l’Australie sur des cartes françaises et anglaises du XVI°siècle. A Venise, à la bibliothèque Marciana, un planisphère fait par fra Mauro en 1459 montre le Cap de Bonne Espérance 30 ans avant que la région ne soit découverte par Bartolomeu Dias. Menzies explique le caractère déformé des cartes par le fait que les navigateurs chinois savaient bien calculer la longitude mais ne savaient pas repérer la latitude. En corrigeant leurs cartes en tenant compte de ce problème, la plupart des planisphères fantaisistes des XV° et XVI° siècles deviennent assez précis.

    Usher

  3. ce problème se voit effectivement sur els cartes du XVIe du Palais es Doges: les côtes y sont (pour les cartes de l’Europe et de la proche Asie) très précises, mais les formes des pays sont déformées, car visiblement ecs cartes sont faites à partir du seul tracé des côtes, sans idée de « l’épaisseur » des terres concernées.

  4. Ah, oui, mais là, ça va pas: il me faut absolument le nom de ce peintre devenu fou en 1926 et qui travaille dans des couleurs marines. Ça collerait parfaitement avec une vague mondiale de cas de ce genre à la même période chez des artistes, et j’en sais très bien la cause.

    Cthulhu ftaghn!

    Pour 1421, j’avais lu le bouquin en anglais il y a deux ou trois ans, c’était tout à fait passionnant, et fascinant par l’ironie de la situation: la flotte revient chargée d’informations sur le monde, alors que la Chine décide de faire une sorte d’exil intérieur. Il y a probablement la matière à des uchronies intrigantes.

  5. désolé: j’ai beau chercher, je ne vois nulle référence à ce jeune peintre devenu fou en 1926, hélas. il a pourtant un tableau au Ca’ Pesaro et un autre dans la collection Mattioli du Guggenheim, mais il n’est pas répertorié.

  6. Et en plus, influencé par Gauguin — un lien avec les mers du Sud, qui s’ajoute à son internement en 1926! On voudrait le faire exprès qu’on ne pourrait pas… Dommage qu’il n’ait pas peint Nan Madol plutôt que la Bretagne. ^______^

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